Est-il possible d’utiliser les secrets d’affaires d’un concurrent pour prouver la concurrence déloyale à laquelle il se livre ? On perçoit que des intérêts contradictoires sont en balance. La Cour de cassation vient de rendre un nouvel arrêt, en date du 5 février 2025, précisant cette articulation.

La société ABC Food, franchisée de Speed Rabbit Pizza, a accusé Domino’s Pizza France et sa franchisée, French Pizza Inc., de concurrence déloyale. ABC Food reprochait notamment l’octroi de délais de paiement excessifs et de prêts prétendument contraires au monopole bancaire. Pour étayer ses allégations, ABC Food a produit en justice un document interne de Domino’s Pizza, le « Guide d’évaluation des points de vente 2018 », considéré comme confidentiel et relevant du secret des affaires. En réponse, Domino’s Pizza a demandé des dommages et intérêts pour violation de ce secret.

La Cour d’appel de Paris a fait droit à cette demande en relevant que la société ABC Food savait nécessairement que ce document était couvert par le secret des affaires, puisqu’il était distribué exclusivement aux franchisés, qu’il était précisé sur le document qu’il était strictement confidentiel et que sa diffusion était interdite en-dehors du réseau.

La Cour de cassation casse la décision, au visa de l’article L151-8 3° du Code de commerce et de l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH).

Rappelons que le premier de ces textes dispose que : « A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue : 3° Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. »

La Cour tire également de la CESDH et en particulier du droit  à un procès équitable. Elle reproche à la Cour d’appel au motif suivant :

En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la pièce produite n'était pas indispensable pour prouver les faits allégués de concurrence déloyale et si l'atteinte portée par son obtention ou sa production au secret des affaires de la société Domino's Pizza n'était pas strictement proportionnée à l'objectif poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Deux critères, donc :

  1. la pièce doit être indispensable à la preuve des faits;
  2. sa production doit strictement proportionnée à l’objectif poursuivi.

On remarquera la société ABC Food avait succombé sur sa demande principale, de sorte que l’appréciation ne semble pas dépendre du succès des prétentions – sous la réserve que la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir effectué la recherche, ce qui ne dit rien du résultat si elle l’avait fait.

Cet arrêt n’est pas d’une grande nouveauté puisqu’il est presque en tous points, à l’exception, d’une demanderesse, identique à celui que la Cour de cassation avait rendu le 5 juin 2024. On peut également rapprocher cette solution de celle que la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 23 décembre 2023 (que nous avions commenté ici). Dans cette affaire, qui a fait grand bruit, la Cour de cassation a posé comme solution que « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. » Cette solution repose toutefois sur les mêmes conditions que celles évoquées plus haut (caractère indispensable, caractère proportionné).

 

Photo de Unleashed Agency sur Unsplash

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