La multiplication des sites participatifs, qu’il s’agisse des forums, des blogs ou encore des sites de critique ou de notation, permettant de surcroît d’émettre une critique anonyme, semble avoir soumis certains entrepreneurs à une tentation accrue du dénigrement.
Le Tribunal de commerce de Montpellier a ainsi rendu, le 17 janvier 2011, un jugement dans une affaire introduite par une société d’immobilier entre particuliers qui avait constaté qu’elle faisait l’objet de commentaires dénigrants sur certains forums Internet. Celle-ci soupçonnait manifestement l’un de ses concurrents d’en être l’auteur.
La société obtient l’adresse IP du commentateur par voie de justice et constate que les commentaires dénigrants émanaient bien du gérant d’une société directement concurrente.
Cette décision illustre quelques points saillants du dénigrement, notamment sur Internet.
Ainsi un dénigrement ne saurait être excusé par l’existence d’autres dénigrements. En l’occurrence, par celle d’articles de presse critiquant également les prestations fournies. Ici, un article de l’UFC Que Choisir mettait également en cause la société concernée. Il n’en reste pas moins que la critique directe d’un concurrent, de surcroît de façon anonyme, est une pratique déloyale. L’entreprise auteur des commentaires dénigrants a donc été condamnée.
En revanche, le fait qu’il existe d’autres sources mettant en cause l’entreprise peut jouer, comme en l’espèce, au stade de l’appréciation du préjudice.
Il peut être relativement aisé de démontrer l’impact du dénigrement, lorsque les ventes connaissent une chute brutale et soudaine juste après celui-ci. L’impact n’est toutefois, pas toujours aussi manifeste, et il devient plus délicat d’évaluer son préjudice.
Les juridictions considèrent qu’un préjudice a nécessairement été causé dès lors que la faute est caractérisée. Ceci concerne la recevabilité de l’action1 mais ne peut toutefois dispenser le demandeur d’évaluer son préjudice lorsqu’il sollicite une réparation financière.
On trouve toutefois des décisions telles que celle de la Cour d’appel de Bordeaux, en date du 9 décembre 20092 qui procèdent à une évaluation forfaitaire du préjudice. C’est ainsi que la Cour d’appel de Bordeaux a jugé que :
« Ce dénigrement a porté nécessairement préjudice à une association dont la création est récente et qui souhaite augmenter son audience auprès de personnes qui partagent sa conception du naturisme. Le préjudice est constitué par une désaffectation possible des adhérents et donc une perte de revenus issus des cotisations. Il sera fait droit à la demande par l’allocation de la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour réparer les atteintes subies par ONE. »
Il peut paraître étonnant que la Cour se soit contentée d’une « désaffection possible des adhérents » sans exiger la démonstration d’une perte effective d’adhérents.
Le Tribunal de commerce de Montpellier s’est montré plus sévère :
« Attendu que le Partenaire Européen n’apporte aucun document attestant de la perte de clientèle.
Attendu que l’image de marque du Partenaire Européen est entachée par les articles de l’UFC que choisir (pièces 19 et 21) qui exposent les dysfonctionnements du Partenaire Européen et font état de mécontentements des clients du Partenaire Européen.
Attendu que le Partenaire Européen ne peut prétendre que seuls les messages de M. C. ont terni sa réputation ; qu’en conséquence il ne sera accordé aucun dommage et intérêt pour préjudice matériel et moral. »
On peut imaginer, avec les réserves qu’un tel exercice suppose, que le Tribunal s’est montré d’autant plus sévère que les critiques étaient relayées par un organe de presse. Ainsi, si l’existence d’articles de presse ne permet pas d’échapper à la condamnation, elle complique singulièrement la démonstration de l’impact d’une source de dénigrement donnée.
Une telle décision doit inciter à accompagner ses demandes de réparation financières d’autres demandes, ce que n’a pas fait le demandeur en l’espèce. Celles-ci, telles la suppression sous astreinte des messages dénigrant ou encore la publication judiciaire de cette décision, peuvent être de nature à rétablir la réputation de la société dénigrée.
Enfin, un point concernant la procédure choisie : la société victime de dénigrement a sollicité la communication des adresses IP d’un commentateur par voie de requête auprès du président du TGI. La procédure sur requête est une procédure non contradictoire, c’est-à-dire qu’elle se déroule hors la présence de ceux auxquels elle sera opposée. Il convient toutefois de justifier, dans la requête, de la nécessité d’y recourir3. Dans le silence de la décision du Tribunal de Grande Instance de Montpellier à cet égard, on peut penser que le choix de cette procédure n’a pas été contestée par les fournisseurs d’accès visés, ce qui peut s’expliquer par un simple choix d’opportunité. Pour autant, on peut s’interroger sur le choix d’une telle procédure : les données sont en effet stockées et, dans la mesure où les FAI n’ont pas un intérêt spécifique à leur suppression, elles ne risquent pas de disparaître (sauf cas très particulier).
- une action en responsabilité délictuelle n’est en effet recevable que s’il est démontré l’existence d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre les deux [↩]
- Bordeaux, 9 décembre 2009, n°08/02995, Organisation Naturiste Européenne c. Nouvelles Editions de l’Université [↩]
- c’est par exemple le cas lorsque l’on sollicitera d’un Tribunal qu’il autorise, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, une société à faire procéder à des opérations de constat, y compris informatique, au sein d’une entreprise concurrente : le succès de l’opération dépend généralement de l’effet de surprise [↩]
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