La soudaine irruption des normes sanitaires, conjuguée à la quête parfois désespérée de débouchés, a conduit certains opérateurs à distribuer masques ou gel hydroalcooliques non conformes. Et la question ne concerne pas que les masques et le gel hydroalcoolique. Il est évident que la norme sanitaire va être utilisé de façon croissante dans les mois et années à venir comme argument marketing, et pas toujours de manière justifiée. Cela pourra concerner des équipements de protection individuelle mais aussi les équipements dans les commerces, les restaurants etc.
Une telle pratique est évidemment préjudiciable à l’acheteur, mais elle l’est aussi au concurrent qui, lui, respecte les normes et doit parfois engager des frais importants à cette fin. Si une entreprise vend des produits en affirmant qu’ils respectent une norme alors que ce n’est pas le cas ou, sans même l’affirmer, en fabriquent sans respecter les normes, il y a plusieurs niveaux de réponse.
Tout d’abord, il peut s’agir clairement d’une pratique commerciale trompeuse. L’hypothèse est citée explicitement dans le Code de la consommation, en son article L121-4 :
« Sont réputées trompeuses (…) les pratiques commerciales qui ont pour objet : (…) d’afficher un certificat, un label de qualité ou un équivalent sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire »
En pratique, selon la sensibilité du produit et de la tromperie, ce sera souvent la DGCCRF qui agira. Il faut rappeler que, outre les sanctions civiles, les pratiques commerciales trompeuses sont sanctionnées pénalement, conformément aux articles L132-2 et suivants du Code de la consommation, d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant s’élever à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel de l’entreprise.
Mais en l’absence d’action de l’administration et/ou pour que soit pris en compte son préjudice, une entreprise n’est pas dépourvue de moyens d’action. Il pourra en effet s’agir de concurrence déloyale. Soit en raison d’une publicité mensongère si, en plus, le concurrent en fait la promotion. Soit du seul fait même de l’exploitation.
La concurrence déloyale est en effet une théorie extrêmement large qui n’a en somme de limite que l’imagination d’un concurrent. Elle est fondée sur l’article 1240 du Code civil, lui-même très large, puisqu’il prévoit une responsabilité pour « tout fait quelconque de l’homme »
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »
Parmi la typologie indicative des actes de concurrence déloyale que la jurisprudence a dessiné (depuis le dénigrement, le débauchage massif, le démarchage systématique des clients d’un concurrent etc.) la jurisprudence a retenu la notion de « trouble commercial », dont on devine qu’elle est elle aussi large.
Or, le non-respect d’une obligation légale ou règlementaire suscite bel et bien un trouble commercial. Dans le cas particulier du non-respect d’une norme, le trouble est notamment renforcé par le fait que, pour se conformer aux normes, il faut engager des frais de recherche et de développement et de validation de son procédé et de son produit, que le concurrent indélicat n’engage pas.
A titre d’exemple, ont été jugés constitutifs de concurrence déloyale :
- La distribution d’appareils de chauffage électrique non-conformes aux normes de sécurité électrique (Paris 20 octobre 2011) ;
- La vente et la promotion de VTT ne respectant pas la norme française de sécurité en la matière (Cass. com. 28 septembre 2010) ;
- L’exploitation d’un broyeur pour véhicules hors d’usage sans disposer des autorisations administratives (Cass. com. 21 janvier 2014)
- Le recours à une affiche publicitaire qui, par sa taille, ne respectait pas la règlementation en vigueur (Cass. com. 12 mai 2004) ;
- L’exploitation d’un restaurant à Saint-Tropez à proximité immédiate d’un concurrent en infraction au plan d’occupation des sols (Cass. com. 2 décembre 2008) ;
- Le non-respect du taux de TVA en vigueur (Cass. com. 9 mars 2010)
Ainsi, le non-respect de toute règle obligatoire peut être le support d’un acte de concurrence déloyale.
Il ressort également de ces affaires, et de façon constante qu’il n’est même pas nécessaire de démontrer que cela a nui à sa propre activité. La Cour de cassation a même rappelé que la concurrence déloyale ne suppose pas que celui qui s’y livre en ait tiré profit.
La Cour de cassation a même rappelé clairement dans plusieurs des cas cités plus haut, que l’existence d’un préjudice financier n’était pas une condition de recevabilité de l’action en concurrence déloyale :
« Un préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale, générateur d’un trouble commercial, fût-il seulement moral »
Que peut-on obtenir ?
Si l’existence d’un préjudice économique n’est pas une condition de recevabilité de l’action, il est évident qu’il faudra néanmoins en démontrer l’existence si l’on veut dépasser l’indemnisation symbolique.
En complément, on peut à tout le moins obtenir la cessation de la pratique, que ce soit l’interdiction sous astreinte de se prévaloir de la norme sanitaire concernée, voire la publication judiciaire de la décision de justice. En dehors de la seule action en concurrence déloyale, et selon la gravité de la violation, une interdiction de vendre les produits concernés pourra bien sûr être également ordonnée.
The comments are closed.
Aucun commentaire