Qu’il s’agisse d’accélérer un recrutement, ou de capter le chiffre d’affaires d’un concurrent sans racheter le fonds de commerce pour autant, le débauchage est l’un des outils d’une concurrence déloyale.
Mais contrairement à la perception légitime de l’employeur perdant ses salariés, tel n’est pas toujours le cas. L’écart est souvent grand entre la perception d’une déloyauté par l’ancien employeur, et des décisions de justice souvent rigoureuses, comme l’illustre ce rapide panorama des décisions de novembre et décembre 2012 (en l’état de leur publication).
Le constat du débauchage déloyal : mission de l’huissier, secret des correspondances…
Face à un cas potentiel de débauchage déloyal de salarié, le premier réflexe doit être de faire établir la réalité de la pratique (hors cas évidents). Comme cela a déjà été évoqué, un tel constat pourra être réalisé grâce à une mesure d’instruction dite in futurum, mesure prévue à l’article 145 du Code de procédure civile.
A cet égard, la Cour de cassation a pu rappeler, par un arrêt du 12 novembre 2012 (n°11-28.150), que l’une des premières conditions est que la mission dévolue à l’huissier ne constitue pas une « mesure d’investigation générale« .
Un soin tout particulier doit donc être apportée à la définition de cette mission, pour lui permettre de rapporter le plus d’éléments nécessaires, sans déborder du strict cadre nécessaire au litige.
En l’occurrence, la Cour d’appel de Toulouse avait eu à connaître d’une mission particulièrement large : celle-ci visait à appréhender tous les échanges de courriers électroniques entre une société et ses anciens agents commerciaux sans limite de temps (et spécialement sans limiter la mission à la période concernant les faits reprochés), visait les échanges avec des prospects sans définir cette notion et ne limitait même pas la mission aux prospects indiqués.
La partie requérante soutenait que lorsque le juge a caractérisé (1) la légitimité du motif et (2) le bien-fondé du recours à une mesure non contradictoire – qui sont les deux conditions du recours à l’article 145 du Code de Procédure Civile – il n’a pour seule possibilité que d’apporter les limites non prévues par le requérant, mais pas de rejeter intégralement la requête. Sans grande surprise, la Cour de cassation a rejeté cette argumentation.
La question de la preuve soulève également celle du secret des correspondances. La Cour de cassation s’est prononcée dans un arrêt en date du 6 novembre 2012 (n°11-30551) sur le cas particulier de la captation de courriels échangés sur une adresse non professionnelle. La cour d’appel s’était contentée de constater que rien ne prouvait que les courriels avaient été obtenus frauduleusement. La Cour de cassation souligne pour sa part qu’elle devait rechercher « si l’atteinte portée au secret des correspondances invoqué était nécessaire et proportionnée au but recherché« . A contrario, une atteinte nécessaire et proportionnée au secret des correspondances serait admissible.
Conditions et illustrations : clause de non-concurrence, augmentation de salaire, caractère massif…
Le débauchage déloyal peut être caractérisé dès lors que les conditions alternatives suivantes sont réunies :
- il est réalisé au mépris d’une clause de non-concurrence,
- des manoeuvres déloyales sont mises en place et l’entreprise subit une désorganisation.
Ces critères donnent lieu à une application scrupuleuse, voire rigoureuse.
L’existence d’une concurrence déloyale ne fait pas de difficulté lorsque l’embauche est réalisée en violation d’une clause de non-concurrence, comme l’a jugé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 8 novembre 2012 (n°10/06899). Il est plus intéressant de relever, dans le même arrêt, l’attendu selon lequel :
« Si, en vertu de la liberté du travail, il est loisible à un salarié de changer d’emploi au mieux de ses intérêts, l’exercice de cette liberté devient abusif s’il a pour but de détourner le prospect d’une société, dont il démissionne, pour permettre à son nouvel employeur de récupérer ce client, ce qui est manifestement le cas en l’espèce. »
La Cour d’appel de Paris se montre particulièrement rigoureuse dans un arrêt du 7 novembre 2012 (n°11/15108).
La Cour pose tout d’abord un attendu de principe, en considérant que :
« ne constituent pas en soi des manœuvres déloyales la simple constatation de l’embauche par un concurrent de salariés démissionnaires, de l’attribution à ce personnel de fonctions identiques et du transfert d’une partie important de la clientèle dans les mois ayant suivi l’embauche ; que nul ne dispose d’un quelconque droit privatif sur sa clientèle et le simple déplacement d’une clientèle d’un fond à un autre n’est pas, à lui seul et en l’absence de manœuvres déloyales, révélateur d’un comportement fautif de la part du bénéficiaire et, plus précisément d’une action organisée de détournement de clientèle »
Si cet attendu est, en lui-même exact, il est plus surprenant que le doublement du salaire de l’unique salarié d’une entreprise n’ait pas été considéré comme une « offre de salaire anormalement élevée« …
D’ailleurs, la Cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 8 novembre 2012 (n°12/00428), a pour sa part pris soin de comparer précisément les modalités de rémunération du même salarié (fixe, variable et assiette du variable) chez son ancien et son nouvel employeur, pour constater que la différence était in fine, très légère. De même, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du même jour (n°10/14598) n’a pas manqué de relever que « les conditions offertes aux salariés en cause lors de leur embauche sont en harmonie avec les conditions pratiquées vis à vis des autres salariés tant sur le plan des salaires que du calcul des commissions, de sorte qu’il ne peut être reproché à la société Prosynfo de s’être livrée à une surenchère pour attirer chez elle lesdits salariés« .
Quant à la Cour d’appel de Lyon, si elle l’écarte l’existence d’une telle manœuvre dans le cas d’espèce, elle rappelle bien que la proposition d’un salaire nettement supérieur pour s’attacher les services d’un salarié peut constituer une manœuvre déloyale (Lyon, 6 décembre 2012, n°11/02944).
En l’absence d’autres éléments, l’appréciation de la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 7 novembre 2012 reste donc surprenante.
Sur une question différente, dans un autre arrêt du même jour (n°11/05382), la Cour d’appel de Paris n’a pas considéré que le débauchage de trois salariés, soit le tiers des effectifs de la société demanderesse, ait constitué un débauchage massif. Même si l’on quitte là le domaine du débauchage déloyal de salariés, il convient de relever que la Cour a considéré que le fait qu’un ancien salarié ait quitté l’entreprise avec le fichier national des clients de son employeur ne suffisait pas à démontrer que son nouvel employeur en avait fait usage. De même, le fait qu’il ait formulé une offre au nom de son futur employeur alors qu’il était toujours en poste chez son ancien employeur, en se servant d’une étude réalisée par celui-ci, ne prouvait que son futur employeur ait été informé de cette déloyauté.
Enfin, la Cour de cassation, dans l’arrêt précité du 6 novembre 2012, a considéré que le fait qu’un chef de projet, appelé à effectuer la recette du logiciel réalisé par son employeur chez un client, n’ait plus jamais repris son poste pour travailler pour ce client, ce que lui-même et son nouvel employeur ont explicitement occulté, ne constituait pas une manœuvre déloyale.
Illustration : Aux mains des chasseurs de tête
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