Jean-François Kahn a raison…
7 janvier 2008 par Erwan Le Morhedec
… la société actuelle s’appauvrit. Elle manque de référence. Elle manque de culture générale. Et il faut secouer les journaux.
S’il faut chercher rapidement un exemple, on se réfèrera au propos de Jean-François Kahn – qui a fait grand bruit sur les blogs à d’autres égards – lorsqu’il explique ceci :
“Si un boulanger décrétait qu’à partir de demain, il distribuera des baguettes gratuites, dès le lendemain, ce serait interdit par la commission de la concurrence. Pourquoi n’y a-t-il qu’un produit dans notre société libérale, la presse, qui peut être gratuit sans que la commission de la concurrence intervienne pour concurrence déloyale ?”
Il y a dans ce paragraphe un nombre suffisamment considérable d’erreurs pour mériter que l’on s’y arrête un peu.
Vous trouverez les plus évidentes sur la fin :
- la Commission de la concurrence n’existe plus depuis 21 ans. Avec l’ordonnance du 1er décembre 1986, c’est le Conseil de la concurrence qui a pris sa suite.
- ni la Commission de la concurrence à l’époque ni le Conseil de la concurrence aujourd’hui ne traitent de faits de concurrence déloyale. Le Conseil de la concurrence, outre ses fonctions consultatives, traite des ententes et abus de position dominante. La concurrence déloyale, pour sa part, ressort des tribunaux de l’ordre judiciaire et donc, des tribunaux de commerce.
Il n’est donc “pas certain” que le procès en passivité fait au Conseil de la concurrence soit bienvenu. Lire la suite »
Dessous illicites chez Google
17 décembre 2007 par Erwan Le Morhedec
Angela B. animait deux blogs. L’un était hébergé par Microsoft, sur blogspot, l’autre par Google Inc., sur blogger. Angela B. (à moins que ce ne soit Angelo en vérité) avait peut-être trouvé un moyen peu conventionnel de se faire adresser des photos de jeunes femmes légèrement vêtues. Affirmant en effet organiser des séances de photographies destinées à illustrer les catalogues lingerie et maillots de bain de la société Benetton, elle avait sollicité auprès de jeunes femmes qu’elles lui adressent des photographies dans les tenues correspondantes. Elle faisait en outre figurer des photographies issues de catalogues Benetton, sans aucune autorisation.
Alertées, deux sociétés du groupe Bennetton ont contacté les sociétes Microsoft et Google afin que l’accès audit blog soit empêché, ce qui fut fait immédiatement par Microsoft mais fut plus difficile à obtenir de Google, comme en témoigne la décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 12 décembre 2007.
Nous passerons sur les difficultés que semblent avoir eu les sociétés du groupe Benneton à contacter le bon interlocuteur, de Google Inc., société américaine, ou de Google France. Lire la suite »
La rupture brutale surprise
1 octobre 2007 par Erwan Le Morhedec
Une rupture brutale de relations commerciales est évidente lorsqu’un courrier est adressé à la victime de la rupture, elle l’est moins quand cette rupture se matérialise par l’arrêt des commandes et qu’il faut à la victime un certain temps pour se rendre compte du caractère irréversible de la situation.
Il est encore un autre mode de rupture de relation commerciale, qui peut être de nature à surprendre jusqu’à l’auteur même de la rupture : la modification unilatérale des conditions commerciales.
La décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 5 juillet 2007, outre des problèmes de preuve qui ont empêché la société Fauchon de démontrer l’existence d’impayés, et la victime de la rupture d’établir l’ampleur de son préjudice, rappelle que les relations commerciales concernées par l’article L.442-6-I.5) du Code de commerce ne sont pas nécessairement des « relations contractuelles », mais qu’il peut s’agir de simples courants d’affaires et en tout état de cause elles n’ont pas à être nécessairement « mises en forme dans un contrat écrit ». Lire la suite »
Sanctions, « transaction », clémence, les instruments d’action du Conseil de la concurrence
31 août 2006 par Erwan Le Morhedec
Le Conseil de la concurrence consacre chaque année une étude thématique à un sujet spécifique qu’il entend développer et sur lequel il souhaite apporter des précisions.
La conséquente livraison de l’édition 2005 est intégralement consacrée à l’examen des « instruments de la mise en oeuvre du droit de la concurrence », un domaine qui a connu nombre de bouleversements récents, notamment par l’introduction de procédures originales.
Cette étude thématique est intéressante à plusieurs titres. Elle synthétise l’approche du Conseil de ses instruments d’action, et l’utilisation qu’elle entend en faire. A ce titre, cette étude est un outil pédagogique important pour les entreprises et leurs conseils et, s’il est permis, à certains égards, de ne pas partager ce qui ne reste qu’une position du Conseil de la concurrence, cette étude a le mérite de l’exposer amplement et d’offrir ainsi aux entreprises une certaine prévisibilité de l’action du Conseil de la concurrence. Lire la suite »
De déloyaux liens
26 juin 2006 par Erwan Le Morhedec
Comme souvent, sur ce terrain encore nouveau qu’est le «Net», et malgré les efforts du Forum des droits sur l’Internet – que nous saluons respectueusement en passant, notamment parce qu’il fournit tous les documents source du présent billet – l’internaute croit voir de vertes et vierges vallées, libres de Droit et de contraintes, avides d’êtres foulées de son impétueuse inventivité.
L’achat de mots-clés permettant de voir afficher un lien vers son propre site lorsque l’on recherche celui de l’un de ses concurrents est ainsi commercialement tentant, mais juridiquement risqué : publicité de nature à induire en erreur, contrefaçon de marque et concurrence déloyale sont les trois risques réels encourus dans une telle démarche.
Le Tribunal de Grande Instance de Nice a jugé utile de préciser longuement, dans une décision du 7 février 2006, que « le programme AdWords [de Google], fondé sur l’usage des mots-clés et des liens hypertextes, ne saurait être considéré comme de nature à induire en erreur », relevant que leur nature est clairement identifiable. De même «l’usage des mots-clés, s’il crée les conditions et favorise le développement d’une nouvelle forme de publicité en ligne dont le succès ne se dément pas, n’est pas en soi un procédé anti-concurrentiel ». Lire la suite »
Du roquefort et des gammes
6 mars 2006 par Erwan Le Morhedec
« Le roquefort, produit prestigieux au goût marqué, constitue une référence à laquelle la grande distribution ne peut renoncer, eu égard aux préférences manifestées par une proportion économiquement significative des consommateurs ».
C’est à peu près le type de propos élogieux qu’un industriel préfère lire dans une revue professionnelle plutôt que dans une décision du Conseil de la concurrence, tant elle préfigure la reconnaissance d’une position dominante et, potentiellement, d’un abus de cette position.
Dans sa décision n°04-D-13 du 8 avril 2004, le Conseil de la concurrence avait sanctionné la Société des Caves et Producteurs Réunis de Roquefort pour avoir mis en place des accords de remise de gamme avec la grande distribution. Les contrats conclus accordaient une rémunération sous forme de remises globales s’échelonnant de 2,25 % à 8,6 % du chiffre d’affaires total facturé, en contrepartie d’une exclusivité d’approvisionnement auprès de la Société des Caves, ou de la présence d’une gamme étendue de produits de cette dernière société dans les linéaires.
La Société des Caves avait notamment tenté de contester l’existence d’un marché pertinent du roquefort.
Le Conseil de la concurrence a, quant à lui, considéré qu’il existe bien un marché pertinent du roquefort, compte tenu des éléments suivants : « les spécificités du roquefort comparées à celles des fromages à pâte persillée, le goût plus fort et plus typé du roquefort, la stratégie commerciale des offreurs présentant le roquefort comme un fromage haut de gamme, le prix de vente du roquefort, très nettement supérieur à celui des bleus, les contraintes géographiques et la réglementation spécifique imposées aux producteurs », rappelant également qu’il avait déjà auparavant relevé l’existence d’un marché pertinent du Cantal… ou du matériel de fabrication du Reblochon.
Le Conseil de la concurrence a donc, par voie de conséquence, constaté la position dominante de l’entreprise sur le marché du roquefort, ainsi que le caractère abusif des accords de gamme conclus. Il a retenu également le fait que les linéaires des GMS constitueraient « une ressource rare dont l’accès fait l’objet d’une forte compétition entre producteurs », de sorte que dans de telles conditions, « un producteur en position dominante ne peut tirer argument du nombre de références qu’il est en mesure de fournir pour s’exonérer de la qualification d’abus de position dominante ».
Cette décision a été confirmée en appel, par un arrêt en date du 9 novembre 2004, et vient d’être confirmée également par une décision de la Cour de cassation du 6 décembre 2005.
Celle-ci a confirmé l’impact des pratiques de la Société des Caves en relevant également le caractère de « ressources rares » des linéaires, d’autant plus raréfiée depuis l’apparition et le développement des produits sous marques de distributeurs.
Elle n’a ainsi pas remis en cause la motivation du Conseil de la concurrence qui relevait que « la Société des Caves ne fournit aucune indication concrète sur la contrepartie économiquement justifiée des rabais accordés, qu’elle qualifie de rabais « de gamme » et se borne à affirmer que les pratiques qui lui sont reprochées permettaient aux distributeurs « de placer dans leurs linéaires le choix complet des produits que réclamait le consommateur » sans apporter de justification économique au choix des taux de remise retenus, ni à leur lien avec le nombre et la nature des référencements exigés dans les accords commerciaux passés avec la grande distribution » et sans que l’on puisse affirmer que le fait de présenter l’ensemble d’une gamme d’un seul et même fournisseur présente un avantage quelconque pour le consommateur.
La solution est somme toute classique, et la Cour de cassation n’était pas interrogée sur le principe même de la remise de gamme. Pour autant, on notera pour conclure que les accords de gamme sont vus avec davantage encore de défaveur depuis l’adoption de la loi du 2 août 2005, intégrant à l’article L.420-2 du Code de commerce, relatif aux abus de position dominante, une mention expresse des accords de gamme, et indiquant, à l’article L.442-6-I-2°, b du même Code que « le fait de lier la vente de plus d’un produit à l’octroi d’un avantage quelconque constitue un abus de puissance de vente ou d’achat dès lors qu’il conduit à entraver l’accès des produits similaires aux points de vente ».