« ce n’est qu’au terme final de l’appel d’offres que le GIE a clairement manifesté son intention de rompre les relations; que le préavis doit démarrer à cette date; qu’en conséquence la société Transfer n’a bénéficié d’aucun préavis »
… la Cour d’appel de Paris a délivré, dans une décision du 24 mars 20111, un attendu surprenant qui fournit l’occasion d’un bref retour sur le cas particulier de rupture des relations commerciales qu’est l’appel d’offres.
En effet, la rupture d’une relation commerciale ne procède pas nécessairement d’un courrier explicite, informant le partenaire de la décision prise. Celle-ci peut relever, de facto, d’un arrêt des commandes, de leur chute, d’une modification substantielle des relations commerciales, ou du recours à un appel d’offres.
L’intervention d’un appel d’offres n’est pas sans impact en matière de rupture brutale de relations commerciales établies, puisque la mise en concurrence systématique de ses partenaires commerciaux a pu être considérée comme un obstacle à l’application de l’article L.442-6.I.5° du code de commerce, dans la mesure où elle imprimait à la relation commerciale un caractère précaire et, donc, non établi.
Un autre débat s’était instauré à cet égard, afin de déterminer si la décision de rompre les relations commerciales devait s’inférer de l’annonce du recours à l’appel d’offres, ou de celle de son résultat négatif. Faut-il considérer (i) que l’annonce de l’organisation d’un appel d’offres ne préjuge pas de son résultat ou (ii) qu’il constitue nécessairement une modification du cadre des relations commerciales ?
La jurisprudence avait dégagé une solution paraissant établie en considérant que la notification du recours à l’appel d’offres constituait la notification de la rupture des relations commerciales, et faisait courir le délai de préavis. La Cour de cassation a ainsi considéré que :
« la notification par le GIE Elis à la société Charpentier Armen, de son recours à un appel d’offres pour choisir ses fournisseurs, manifestait son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et faisait ainsi courir le délai de préavis »2
La Cour de cassation avait repris des termes strictement identiques dans un arrêt ultérieur, en date du 18 décembre 20073.
La solution adoptée par la Cour d’appel de Paris vient donc en contradiction directe avec ces deux décisions4.
En effet, alors que l’appelante faisait valoir, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, que le préavis « a couru à compter de l’avis du lancement de l’appel d’offres« , la Cour d’appel de Paris a donc considéré que : « la société Accor et le GIE n’ont pas manifesté leur intention de pas poursuivre leurs relations avant l’appel d’offres [et que] ce n’est qu’au terme final de l’appel d’offres que le GIE a clairement manifesté son intention de rompre les relations« .
Au-delà
Cette solution n’est pas davantage cohérente avec d’autres solutions dégagées en la matière, selon lesquelles une modification substantielle d’une relation commerciale constitue également une rupture de celle-ci. Or, si le recours à un appel d’offre ne signifie pas nécessairement que la relation sera rompue, il sous-tend néanmoins qu’une modification substantielle des conditions de cette relation en résultera. La Cour relève d’ailleurs que « en participant à l’appel d’offres elle avait nécessairement envisagé un aléa susceptible d’affecter au moins partiellement le montant de ses prestations avec le groupe« .
Une circonstance a pu avoir une influence sur la décision de la Cour : le caractère fictif de l’appel d’offres5. Il est en effet apparu que la relation (d’une durée de dix-neuf ans) avait d’ores et déjà fait l’objet d’une rupture avant le résultat de l’appel d’offres et même dès son lancement :
« Que, de plus c’est dès décembre 2003 soit dès le lancement de l’appel d’offres, que Accorequip a brutalement réduit ses commandes et a continué en 2004 par rapport à l’année précédente à hauteur de 56% du chiffre d’affaires, la baisse s’accentuant de 60% au premier trimestre à 87,5% au dernier trimestre. »
La Cour relève ainsi que « contrairement à la notification le 31 mars 2004 de la fin des relations commerciales au 1er octobre 2004, les relations commerciales ont brutalement cessé dès la fin de l’année 2003« . La Cour considère donc que la rupture est non seulement brutale mais également abusive « en raison du comportement fautif de la société Accor et du GIE Accorequip« .
Cette décision est à cet égard encore surprenante : même en l’absence d’écrit explicite, il est difficile de considérer que les sociétés du groupe Accor n’ont pas manifesté leur intention de rompre les relations avant l’appel d’offres, et qu’elles ne l’ont fait qu’au terme de celui-ci, tout en relevant que la société Accorequip a brutalement réduit ses commandes dès le lancement de l’appel d’offres.
Il était possible de considérer, en accord avec la jurisprudence de la Cour de cassation, que le GIE Accorequip et la société Accor avaient manifesté une intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et fait courir le délai de préavis, mais n’avaient pas respecté ce préavis en procédant à une baisse immédiate et conséquente des commandes. La Cour aurait également pu considérer que cette circonstance, outre le fait qu’elle manifestait une mauvaise foi de la part de l’auteur de la rupture, aggravait la brutalité de la rupture.
- Paris, 24 mars 2011, GIE Accorequip, SA Accor c. SA Transfer et Ministre de l’Economie et des Finances et de l’Industrie [↩]
- Cass. com., 6 juin 2001, GIE Elis c. Charpentier Armen [↩]
- Cass. Com. 18 décembre 2007, Sony France c. Dall’Agnol [↩]
- ce qui explique en partie l’illustration de ce billet [↩]
- ce qui achève d’expliquer l’illustration de ce billet [↩]
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