Il peut être spécialement pénible de devoir indemniser un agent dont on découvre a posteriori, et de surcroît, que les mauvaises performances étaient dues à sa déloyauté. Pourtant, si ce motif n’a pas été visé dans la lettre de rupture, l’agent commercial ne peut être privé de son droit à indemnité.
La solution peut paraître banale si l’on fait le parallèle avec la solution retenue dans le cadre de la rupture d’un contrat de travail avec un salarié. Elle n’a toutefois été établie que par un revirement de jurisprudence, récent et spectaculaire.
Jusqu’en 2022, la solution était constante. Ainsi, dans un arrêt en date du 15 mai 2007, la Cour avait retenu la faute grave commise – en l’occurrence le fait, pour l’agent, de travailler pour un concurrent direct – quand bien même elle avait été découverte postérieurement à la rupture. Cette solution avait été reprise dans un arrêt du 1er juin 2010.
La Cour de Justice de l’Union Européenne avait ensuite rendu un arrêt, en date du 28 octobre 2010, qui jugeait que la solution inverse devait être retenu. Cela n’avait pourtant pas emporté la jurisprudence interne, confirmée dans deux arrêts postérieurs de la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt en date du 24 novembre 2015, la Cour de cassation avait très clairement considéré que:
peu importe que [le mandant], qui n’avait découvert ces manquements que postérieurement à la rupture des relations contractuelles, n’en ait pas fait état dans sa lettre de résiliation, dès lors que cette faute avait été commise antérieurement à la rupture«
Elle avait même encore maintenu cette solution dans un arrêt du 19 juin 2019. La Cour de cassation a toutefois été contrainte de revoir sa position, dans un arrêt limpide 16 novembre 2022 :
En considération de l’interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.
Cette solution est confirmée dans un arrêt du 13 avril 2023, reprenant exactement la même motivation. Une fois encore il s’avérait qu’un agent avait représenté concomitamment un concurrent de son mandant. On peut comprendre qu’il soit Mais la Cour explique que :
il n’avait pas été fait état de ce manquement de la société SDR à son obligation de loyauté dans la lettre de résiliation de son mandat d’agent commercial et que ce manquement, qui était distinct de celui exposé dans cette lettre, avait été découvert postérieurement à la notification de la rupture du contrat, de sorte qu’il n’avait pas pu la provoquer.
Il convient donc, à la fois, de procéder à toutes les vérifications possibles avant d’engager un processus de rupture puis de rédiger de façon précise et détaillée toute lettre de rupture, afin de s’assurer que le motif figure clairement dans le courrier. La jurisprudence à venir viendra probablement éclaircir le niveau de précision requis. Dans le cas contraire, l’agent aura droit à l’indemnité prévue à l’article L134-12 du Code de commerce, qu’un usage fixe à deux années de commission brutes. Le mandant pourra toujours se dire que, si les performances de l’agent étaient affectées par sa déloyauté, son indemnité l’est aussi, à due proportion…
Photo de Alexander Mils sur Unsplash
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