« Le roquefort, produit prestigieux au goût marqué, constitue une référence à laquelle la grande distribution ne peut renoncer, eu égard aux préférences manifestées par une proportion économiquement significative des consommateurs ».
C’est à peu près le type de propos élogieux qu’un industriel préfère lire dans une revue professionnelle plutôt que dans une décision du Conseil de la concurrence, tant elle préfigure la reconnaissance d’une position dominante et, potentiellement, d’un abus de cette position.
Dans sa décision n°04-D-13 du 8 avril 2004, le Conseil de la concurrence avait sanctionné la Société des Caves et Producteurs Réunis de Roquefort pour avoir mis en place des accords de remise de gamme avec la grande distribution. Les contrats conclus accordaient une rémunération sous forme de remises globales s’échelonnant de 2,25 % à 8,6 % du chiffre d’affaires total facturé, en contrepartie d’une exclusivité d’approvisionnement auprès de la Société des Caves, ou de la présence d’une gamme étendue de produits de cette dernière société dans les linéaires.
La Société des Caves avait notamment tenté de contester l’existence d’un marché pertinent du roquefort.
Le Conseil de la concurrence a, quant à lui, considéré qu’il existe bien un marché pertinent du roquefort, compte tenu des éléments suivants : « les spécificités du roquefort comparées à celles des fromages à pâte persillée, le goût plus fort et plus typé du roquefort, la stratégie commerciale des offreurs présentant le roquefort comme un fromage haut de gamme, le prix de vente du roquefort, très nettement supérieur à celui des bleus, les contraintes géographiques et la réglementation spécifique imposées aux producteurs », rappelant également qu’il avait déjà auparavant relevé l’existence d’un marché pertinent du Cantal… ou du matériel de fabrication du Reblochon.
Le Conseil de la concurrence a donc, par voie de conséquence, constaté la position dominante de l’entreprise sur le marché du roquefort, ainsi que le caractère abusif des accords de gamme conclus. Il a retenu également le fait que les linéaires des GMS constitueraient « une ressource rare dont l’accès fait l’objet d’une forte compétition entre producteurs », de sorte que dans de telles conditions, « un producteur en position dominante ne peut tirer argument du nombre de références qu’il est en mesure de fournir pour s’exonérer de la qualification d’abus de position dominante ».
Cette décision a été confirmée en appel, par un arrêt en date du 9 novembre 2004, et vient d’être confirmée également par une décision de la Cour de cassation du 6 décembre 2005.
Celle-ci a confirmé l’impact des pratiques de la Société des Caves en relevant également le caractère de « ressources rares » des linéaires, d’autant plus raréfiée depuis l’apparition et le développement des produits sous marques de distributeurs.
Elle n’a ainsi pas remis en cause la motivation du Conseil de la concurrence qui relevait que « la Société des Caves ne fournit aucune indication concrète sur la contrepartie économiquement justifiée des rabais accordés, qu’elle qualifie de rabais « de gamme » et se borne à affirmer que les pratiques qui lui sont reprochées permettaient aux distributeurs « de placer dans leurs linéaires le choix complet des produits que réclamait le consommateur » sans apporter de justification économique au choix des taux de remise retenus, ni à leur lien avec le nombre et la nature des référencements exigés dans les accords commerciaux passés avec la grande distribution » et sans que l’on puisse affirmer que le fait de présenter l’ensemble d’une gamme d’un seul et même fournisseur présente un avantage quelconque pour le consommateur.
La solution est somme toute classique, et la Cour de cassation n’était pas interrogée sur le principe même de la remise de gamme. Pour autant, on notera pour conclure que les accords de gamme sont vus avec davantage encore de défaveur depuis l’adoption de la loi du 2 août 2005, intégrant à l’article L.420-2 du Code de commerce, relatif aux abus de position dominante, une mention expresse des accords de gamme, et indiquant, à l’article L.442-6-I-2°, b du même Code que « le fait de lier la vente de plus d’un produit à l’octroi d’un avantage quelconque constitue un abus de puissance de vente ou d’achat dès lors qu’il conduit à entraver l’accès des produits similaires aux points de vente ».
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