L’auteur de ces lignes se souvient des interrogations stratégiques pressantes des clients de l’époque : se soumettre, contre le droit ou résister, contre le chiffre d’affaires. Ils n’ont pas résisté. Il aura fallu l’intervention du ministre de l’Economie pour rétablir la situation et 8 ans pour connaître l’épilogue de l’affaire : la Cour de cassation vient de se prononcer sur la licéité de certaines clauses du contrat-cadre liant le Galec (les centres Leclerc) avec 46 fournisseurs pour les années 2009 et 2010.
Par un arrêt en date du 1er juillet 2015, la Cour d’appel de Paris avait condamné le Galec à restituer à ces fournisseurs plus de 61 millions d’euros. Elle avait considéré que la ristourne de fin d’année (RFA) prévue dans les conventions annuelles 2009 et 2010 constituait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Les fournisseurs concernés avaient en effet versé une RFA sans que le distributeur n’ait pris d’obligation véritable à leur égard. Il apparaissait en effet que certaines conventions prévoyaient le paiement de cette ristourne, soit en contrepartie de la constatation d’un chiffre d’affaires non chiffré ou d’un chiffre d’affaires inférieur de près de moitié à celui réalisé l’année précédente et l’année durant laquelle la RFA était due, soit sans aucune contrepartie.
Le Galec tentait de faire valoir que le juge ne pouvait contrôler les prix (et, à ce titre, les réductions de prix dont les RFA) dès lors que la loi LME introduisait une libre négociabilité des prix.
La Cour de cassation a jugé dans un attendu que l’on reproduit in extenso mais scindé, la première partie intéressant davantage les juristes et la seconde, les opérationnels qui pourront s’y référer sans désemparer et/ou derechef :
que la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation et L. 442-6, I, 2° du code de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n’exclut pas qu’il puisse exister entre elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ; qu’ainsi, l’article L. 442-6, I, 2° précité, qui figure dans le Livre quatrième du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et au Chapitre II du Titre IV, dédié aux pratiques restrictives de concurrence, n’exclut pas, contrairement à l’article L. 212-1 du code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu ;
Ainsi note-t-on que le parallèle fréquemment entretenu entre les notions de déséquilibre significatif en droit de la consommation et en droit des affaires touche là une limite claire.
La Cour poursuit ainsi :
qu’en outre, la cour d’appel a exactement retenu que la loi du 4 août 2008, en exigeant une convention écrite qui indique le barème de prix tel qu’il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses conditions générales de vente, a entendu permettre une comparaison entre le prix arrêté par les parties et le tarif initialement proposé par le fournisseur ; qu’il suit de là que l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Afin de constater l’infraction aux dispositions de l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce, la Cour de cassation relève que le Galec ne prétendait pas que d’autres clauses permettaient de rétablir un équilibre entre les obligations. Elle prend soin également de caractériser la condition de « soumission » à un déséquilibre significatif en pointant le fait que : « la ristourne a été imposée aux fournisseurs concernés par ces cent dix-huit contrats, qui ont dû signer les contrats-cadres sans pouvoir les modifier« .
Enfin, pour écarter l’idée d’un hasardeux rétablissement d’un contrôle des prix, elle souligne encore que le contrôle exercé ne porte pas sur le niveau des prix mais sur le mécanisme même de la remise de fin d’année.
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