La société Sogelink imaginait évidemment une autre issue en introduisant son action : confrontée à un concurrent qui utilisait le nom de son propre produit à titre de mot-clé pour l’affichage de publicités Google, c’est elle qui est au final condamnée à lui verser 80.000 € pour concurrence déloyale.
Il faut dire qu’entre l’introduction de l’action et le délibéré, la jurisprudence s’est montrée bien moins accueillante envers ces actions en concurrence déloyale, à l’exception d’une décision récente qui apparaît toutefois isolée.
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Deux décisions rendues en septembre 2012 (et commentées sur LM-a.fr) laissaient déjà penser que non seulement l’achat du mot-clé correspondant à un signe distinctif d’un concurrent ne constituait pas un acte de contrefaçon, mais qu’il ne s’agissait pas davantage de concurrence déloyale. Les juridictions considéraient en effet que l’apparition de la publicité dans une colonne distincte intitulée « annonces » écartait le risque de confusion, dans la mesure également où l’annonce ainsi affichée ne reprenait pas la marque concurrente dans le corps du texte.
Pour autant, la Cour d’appel de Paris a retenu la concurrence déloyale, dans un arrêt en date du le 5 septembre 2013. Concrètement, la société Entreparticuliers.com avait fait l’acquisition du mot-clé « pap » pour afficher des annonces redirigeant vers son site, ce qui a nécessairement fort affecté la société des Editions Neressis, éditant le site bien connu « pap.fr« . La Cour a ainsi jugé que « la réservation du mot PAP a été faite de mauvaise foi (…) qu’en l’utilisant, elle dirigeait directement l’internaute vers son site, profitant de façon déloyale, de la notoriété qui lui était attachée « .
La Cour a en conséquence condamné la société Entreparticuliers.com à verser la somme de 80.000 € aux Editions Neressis.
Il est toutefois possible que cette décision soit censurée par la Cour de cassation. Elle s’écarte en effet de la tendance jurisprudentielle très restrictive, qui a d’ailleurs culminé dans une application particulièrement sévère à l’encontre de la société Sogelink.
Cette tendance est illustrée, pour 2013, par deux décisions (outre la décision Sogelin) :
La première décision est un arrêt en date du 29 janvier 2013. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a cassé la décision de la Cour d’appel, en lui reprochant de ne pas avoir relevé d’éléments permettant de caractériser un risque de confusion.
La deuxième décision est un arrêt de la Cour d’appel de Paris, pour sa part, n’a même pas cherché à caractériser une confusion, affirmant de façon catégorique qu’une telle confusion est exclue :
« l’utilisation d’un signe distinctif utilisé par un concurrent comme mot-clé dans le service Adwords de la société Google et qui a pour effet de provoquer l’affichage d’une annonce sur la même page internet que le concurrent, n’est pas, en soi, illicite ; elle n’est pas de nature à générer un risque de confusion pour l’internaute effectuant une recherche sur les produits semblablement commercialisés par les sociétés protagonistes exerçant dans un contexte économique de libre concurrence, lequel ne verra dans cette annonce qu’une offre alternative » (Paris, 21 juin 2013, Hifissimo c. Solutions)
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C’est ainsi dans la ligne d’une jurisprudence devenue très restrictive que la société Sogelink a vu sa demande rejetée, la Cour de cassation, relevant que :
« l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit, la société Sogelink ne saurait se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée dès lors qu’elle ne prétend pas avoir été privée du droit à l’accès au juge »
Surtout, la Cour de cassation approuve la condamnation de la société Sogelink à verser à la société Sig-Image la somme de 80.000 € pour compenser le préjudice subi par cette dernière. Sa faute ? Avoir obtenu de Google, sur la base de la jurisprudence antérieure, que l’utilisation de l’un de ses signes distinctifs ne fasse ressortir que son site. La Cour de cassation juge ainsi que la Cour d’appel :
« relève encore qu’en obtenant de la société Google qu’elle supprime le référencement de la société Sig-image sur Internet, la société Sogelink a privé indûment cette dernière d’un moyen d’accéder à une clientèle pour lui proposer son service de remplissage de formulaires par internet ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu, sans inverser la charge de la preuve, déduire que la société Sogelink avait commis une faute ayant privé la société Sig-image de la possibilité de générer un chiffre d’affaires important et a légalement justifié sa décision ».
Seule consolation, si c’en est une, pour la société Sogelink : la Cour de Cassation a approuvé la Cour d’appel de ne pas avoir annulé sa marque…
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