Rupture brutale de relation commerciale : réparation… et prévention du dommage

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Un tiers à la relation peut invoquer la rupture brutale dont il est victime par ricochet.

Qui peut invoquer la brutalité de la rupture d’une relation commerciale ? Le champ d’application de l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce ne cessait de s’étendre, depuis son objet initialement prévu – les relations industrie-commerce -jusqu’à cette dernière application, aux sociétés d’assurance mutuelle au sujet desquelles le code des assurances dit pourtant clairement qu’elles ont « objet non commercial ».

Par un arrêt en date du 6 septembre 2011, la Cour de cassation a procédé à un nouvel élargissement, certes logique au regard des principes régissant la responsabilité délictuelle, mais inédit.

Une société française (Lesaffre) avait ainsi rompu ses relations commerciales de vingt-cinq ans avec une autre société française (Denis Frères) et sa filiale en Thaïlande (CCS), qui distribuait ses produits. La société Lesaffre s’est trouvée assignée à la fois par la société Denis Frères et par sa filiale. Condamnée en appel, elle faisait valoir dans son pourvoi que l’article L.442-6.I.5° du code de commerce ne régissait que les relations entre partenaires commerciaux et ne permettait pas d’indemniser une éventuelle victime par ricochet.

La Cour de cassation rejette son pourvoi en jugeant que :

« un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d’une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice  »

Cette décision était rendue dans le cas de deux sociétés appartenant à un même groupe. Toutefois, les termes de la décision de la Cour de cassation ne laissent pas supposer que la solution serait différente dans un autre cas.

Les entreprises victimes de la rupture brutale des relations qu’entretenaient leur propre partenaire avec une autre entreprise sont donc susceptibles d’engager la responsabilité de cette dernière. Quant aux entreprises qui rompent les relations commerciales, elles doivent prendre garde au fait que les dommages-intérêts à verser pourraient s’étendre non seulement au préjudice subi par leur partenaire direct, mais également par les partenaires de leur partenaire…

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La perte d’une chance de réaliser une levée de fonds est indemnisable.

Le Tribunal de commerce de Paris a rendu, le 13 septembre 2011, un jugement remarquable en ce qui concerne préjudice indemnisé, mais discutable au regard de l’évaluation de la durée du préavis.

Discutable, car le Tribunal relève que le contrat entre les parties (Pixmania et Dimitech) était un contrat d’adhésion, signé sous la pression de Pixmania. Or, le Tribunal fait néanmoins application de la disposition contractuelle permettant à Pixmania de rompre le contrat avec un préavis de trente jours, tout en notant que la rupture est intervenue à une période particulièrement préjudiciable pour Dimitech : trois semaines avant Noël. Les tribunaux écartent pourtant fréquemment les dispositions contractuelles déterminant la durée du préavis, en rappelant que l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce relève de la responsabilité délictuelle. Ceci qui aurait pu se justifier d’autant plus que l’acceptation expresse de Dimitech était sujette à caution, à en juger par les constatations du Tribunal lui-même.

Remarquable en raison de la nature du préjudice qu’elle retient. En effet, Dimitech était en négociations pour réaliser une levée de fonds de 5.000.000 €. Le Tribunal qui – pour les raisons précitées – n’a accordé qu’un peu plus de 40.000 € au titre de la perte de marge, accorde à cet égard 1.000.000 € au titre de la perte de chance de réaliser cette levée de fonds.

Alors que le préjudice subi est traditionnellement apprécié par la perte de marge brute, les autres postes de préjudice sont la plupart du temps seulement complémentaires.

Une telle décision (de première instance, toutefois) ne peut qu’inciter les entreprises qui souhaitent rompre une relation commerciale à prendre en compte largement les préjudices éventuellement subis par leur partenaire… et les victimes à ne pas restreindre leurs demandes à la seule perte de marge.

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Le juge des référés peut ordonner la poursuite de la relation en référé.

Aussi importante soit-elle, la réparation du préjudice, une fois subi, est un pis-aller.

La Cour de cassation avait ouvert la voie à une solution préventive, en rappelant, dans un arrêt en date du 10 novembre 2009, que le juge des référés tient notamment de l’article L.442-6.IV du Code de commerce le pouvoir d’ordonner la poursuite du contrat, pour mettre un terme au trouble manifestement illicite que constitue une rupture brutale de relations commerciales établies.

La Cour d’appel de Paris lui emboîte le pas, avec plus de clarté, dans un arrêt du 12 octobre 2011 (Meteor Network c. Mac Donald’s France et autres).

En effet, la décision de la Cour de cassation était intervenue dans le cadre d’une procédure collective impliquant la poursuite du contrat en cours (et en cause).

Tel n’est pas le cas en l’espèce.

Dans cette affaire, la société Mac Donald’s France avait mis un terme au contrat-cadre qui la liait à la société Meteor Network, portant sur la mise en place d’un réseau Wi-Fi dans les restaurants, permettant aux consommateurs et employés d’avoir accès gratuitement à Internet. Les franchisés ont également rompu leurs contrats mais ont contracté avec une société concurrente de Meteor Network, avant le terme du préavis pourtant accordé.

La Cour retient que :

« Si les dénonciations de ces contrats ont été effectuées à leurs échéances respectives, la désinstallation, avant terme, des matériels, et la désactivation avant terme du service Wi-Fi, empêchant METEOR de fournir ce service, et vidant ainsi le contrat de sa substance, constitue, de fait, une rupture brutale et unilatérale, par lesdits Membres, de leurs contrats ;

Qu’en outre, la violation manifeste d’engagements contractuels constitue également un trouble manifestement illicite  »

Dans ces conditions, la Cour ordonne aux franchisés dont les contrats ne sont pas échus de désinstaller le matériel et de désactiver les services Wi-Fi concurrents, et de permettre à Meteo de réinstaller ses équipements et de réactiver ses services.

La Cour prend toutefois soin de relever que la mesure ordonnée est proportionnée au trouble subi, « la désinstallation et la réinstallation ne nécessitent qu’une heure par restaurant et représentent un coût de l’ordre de 60 euros« .

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On peut enfin relever la décision de la Cour d’appel de Toulouse en date du 12 octobre 2011 (Urbania Toulouse c. Mounic Home Services),  par laquelle celle-ci assortit l’indemnisation classique de la perte de marge d’une « indemnité pour réparer la désorganisation de l’entreprise entraînée par les circonstances de la rupture ». Cette dernière est plus singulière et pourrait trouver à s’appliquer dans bien des espèces. Il faut toutefois noter que cette affaire portait sur des sommes très restreintes, l’ensemble du préjudice étant réparé par une indemnité d’un montant de 5.000 €.

crédit photo : fredArt

 

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