Extension du domaine de la rupture

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Une relation commerciale établie ne peut être rompue qu’en accordant à son partenaire commercial un préavis écrit suffisant, tenant compte notamment de la durée des relations. C’est l’objet de l’article L.442-6.I.5° du code de commerce.

Or, celui-ci souffre toujours, malgré les années d’application, d’un manque de reconnaissance : on sous-estimerait encore son empire. Nombre de praticiens considèrent toujours qu’il ne concerne que les  relations entre les fournisseurs et la grande distribution.

Pourtant, le champ d’application de cet article ne connaît guère de limites.

Les décisions n’ont en effet pas manqué, et de longue date, pour dissiper cette fausse impression d’un champ d’application restreint. Depuis l’arrêt de la Cour d’appel de Douai, Auchan c. PBC (Douai, 15 mars 2001, confirmée par Cass. com, 23 avril 2003), il est acquis que cet article s’applique aux contrats de prestation de services, de la même manière qu’aux contrats de fournitures de marchandises, et qu’il dépasse donc le strict cadre des relations industrie/commerce.

Les illustrations d’un tel champ d’application étendu se succèdent puisque l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce a trouvé à s’appliquer aux activités suivantes :

  • la location d’une maison d’exposition  (CA Lyon, 15 mars 2007, Maisons et Tradition c. Village Rhônalpin);
  • la passation de contrats de travaux (Cass. Com. 16 décembre 2008, Les Ateliers d’Origine c. Bouygues Bâtiment International)
  • l’exécution de prestations de lobbying (CA Paris, 3 juin 2009, Aluminium c. GDF).

Le 29 février 2008, la Cour d’appel de Paris a même fait preuve d’une certaine audace en considérant, contre la lettre même du texte, que l’article L.442-6.I.5 du Code de commerce s’appliquait à une activité qui, à défaut d’être commerciale, était à tout le moins économique. Elle a ainsi considéré qu’un particulier qui « exerçait une activité, sinon commerciale, du moins économique, entretenait des relations d’affaires« , notion pour le moins indéfinie (CA Paris, 29 février 2008, Durand de Rozière c. SARL d’édition de la Famille éducatrice. En l’occurrence, le particulier en question gérait un établissement scolaire.).

Dernier témoin en date de cette extension du champ d’application de l’article L.442-6.I.5 : la Cour de cassation applique cette disposition à l’activité d’une mutuelle, alors même que, par application de l’article L322-26-1 du code des assurances, « les sociétés d’assurance mutuelles ont un objet non commercial ».

Sa décision, du 14 septembre 2010, portait sur le retrait de l’agrément d’un carrossier par une mutuelle d’assurance, la MACIF. Compte tenu de l’objet non commercial de ces mutuelles, les juges du fond avaient refusé d’appliquer l’article L.442-6.I.5° du code de commerce, et s’étaient référés exclusivement aux dispositions du contrat.

La Cour a cassé la décision en relevant :

« que le régime juridique des sociétés d’assurance mutuelles, comme le caractère non lucratif de leur activité, ne sont pas de nature à les exclure du champ d’application des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence dès lors qu’elles procèdent à une activité de service »

Dès lors, il semble bien que l’exigence d’un préavis pour toute rupture de relation commerciale / d’affaires / économique soit universelle, à une exception anecdotique près.

En effet, les seules professions auxquelles l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce ne seraient pas applicables semblent être les quelques professions réglementées (notaires, huissiers…) pour lesquelles il est expressément exclu que l’activité puisse être exercée de façon commerciale.

Au-delà…

Cette solution n’était pas évidente, compte tenu de la rédaction de l’article L.442-6-I.5° du Code de commerce. Celui-ci vise en effet la rupture de « relations commerciales », par « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ».

Comme le relève Nicolas Mathey dans son commentaire (Contrats Concurrence Consommation n°11, novembre 2010, comm. 249), la Cour de cassation vise non seulement l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce mais également l’article L.410-1 du Code de commerce. Cette précision a son importance, puisque ce dernier article définit le champ d’application de l’ensemble des règles du livre IV du Code de commerce (le livre IV concerne le droit de la concurrence, et les pratiques restrictives de concurrence).

Or, ce champ d’application est très large1 et recouvre notamment, sans autre distinction, « les activités de services ».

La Cour de cassation semble ainsi privilégier le champ d’application défini par cet article. On aurait pu imaginer une autre solution, au regard de la règle specialia generalibus derogant, non generalia specialibus (les règles spéciales dérogent aux règles générales, mais pas vice-versa) : le champ d’application de la disposition spéciale qu’est l’article L.442-6 peut en effet apparaître comme étant plus restrictif que celui de la disposition générale de l’article L.410-1.

Un autre motif de surprise tient dans l’absence de prise en compte de la qualité de l’auteur de la rupture. Car l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce ne s’applique qu’aux actes commis « par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ».

En l’occurrence, on peut se demander de quelle catégorie devrait donc relever une société d’assurance mutuelle…

crédit photo : SomethingInTheAir

  1. « Les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public. » []

Commentaires (81)

  • NM a dit...

    C’est vrai que l’on est très loin de l’intention initiale du législateur qui était de sanctionner le déréférencement brutal. La rédaction du texte était dès l’origine appelée à une interprétation large. On peut d’ailleurs se demander pourquoi maintenir à l’écart de certaines professions réglementées dès lors que l’on a une vision économique et non juridique de la relation commerciale .

    Posté le vendredi 7 janvier 2011 à 9 h 13 min Editer

  • Erwan Le Morhedec a dit...

    Il est effectivement difficile de comprendre la justification de cette absence d’application aux professions réglementées, dès lors que l’on élargit autant le champ d’application. Il semble en effet désormais qu’il faille considérer surtout que cette disposition couvre les cas de rupture d’une relation « économique » et on strictement commerciale.

    Cela se justifierait d’autant plus que ce texte est motivé par un impératif de loyauté (loi Galland « sur la loyauté et l’équilibre dans les relations commerciales » – tiens, a contrario, cet intitulé pourrait militer pour une conception restrictive). A cela s’ajoute probablement une considération économique : éviter les suppressions d’emploi éventuellement consécutives à une rupture brutale.

    Or, pourquoi la loyauté ne devrait-elle s’appliquer qu’aux relations commerciales ? On peut certes recourir à d’autres dispositions pour aboutir à un résultat similaire sur des relations civiles, mais on voit bien en pratique que L.442-6.I.5° a explicité ce cas de responsabilité.

    Et dans la mesure où il peut également y avoir des emplois en jeu dans les activités civiles, les deux motivations de cette disposition valent aussi pour cette dernière.

    Bref, il y aurait toutes les raisons d’avoir une conception très large, mais peut-on vraiment attendre des tribunaux qu’ils adoptent une vision si économique qu’elle fasse bon marché du droit ?

    Il me semble tout de même qu’appliquer cet article aux activités civiles, et jusqu’aux professions réglementées, serait passer outre le champ d’application de L.442-6.I.5° (que l’on peut considérer dérogatoire à L.410-1) et la restriction aux « producteur, commerçant, industriel… ».

    Ne serait-il pas préférable dans ce cas de procéder par une construction jurisprudentielle qui, sur la base de 1382 éventuellement (responsabilité délictuelle, cad non contractuelle, pour les non-initiés qui nous liraient), dégagerait les mêmes solutions pour les activités civiles ?

    Posté le vendredi 7 janvier 2011 à 10 h 27 min Editer

  • NM a dit...

    Comme le dit un auteur, à défaut de pouvoir invoquer les dispositions spéciales, il reste la voie du droit commun. La Cour de cassation a cassé un arrêt qui, pour rejeter une demande en réparation du préjudice subi à raison de la rupture brutale d’un contrat d’exercice libéral, relevait que le demandeur n’apportait pas la preuve de l’existence d’un usage relatif à un préavis. En effet, si le cocontractant avait le droit de modifier ou rompre unilatéralement les relations contractuelles, c’était à la condition qu’il respecte un délai de préavis raisonnable compte tenu de l’ancienneté des relations (Cass. com., 16 mai 2006, n° 03-10.328 : Rev. Lamy conc. oct.-déc. 2006, p. 39, obs. M. Béhar-Touchais, relatif à un contrat entre kinésithérapeutes).

    Posté le vendredi 7 janvier 2011 à 14 h 39 min Editer

  • Erwan Le Morhedec a dit...

    Vu !. Merci pour la référence. Ca tend un peu à renforcer mon idée : plutôt que de forcer l’application de L.442-6.I.5° sur un champ d’application un peu ultra legem, comme dirait l’autre pour ne pas dire contra, ne vaudrait-il pas mieux consacrer davantage cette jurisprudence ?

    Posté le vendredi 7 janvier 2011 à 14 h 46 min Editer

  • NM a dit...

    Si le législateur est intervenu, c’est tout de même qu’il y avait des difficultés notamment probatoires. Il faut le savoir mais, effectivement, rien n’interdit de revenir au droit commun en tolérant une différence de régime.

    Posté le samedi 8 janvier 2011 à 12 h 17 min Editer

  • Erwan Le Morhedec a dit...

    Il est certain que, sans texte dédié, cette possibilité échappe, je le crains, à tout le monde. Les « commerçants » n’étant même pas tous au courant de l’existence du texte sur la rupture brutale, on imagine bien l’ignorance du droit à un préavis dans les activités civiles.

    Posté le samedi 8 janvier 2011 à 14 h 15 min Editer

  • « Déséquilibre significatif », c’est clair : Faits et Cause a dit...

    […] industrie – commerce, son champ d’application s’est considérablement élargi à tous les domaines d’activité, et ne connait plus que quelques exceptions […]

    Posté le lundi 14 février 2011 à 15 h 24 min Editer

  • Auchan : 1.000.000 € d’amende pour déséquilibre significatif : Le Morhedec Avocats | LM-a a dit...

    […] L.442-6.I du code de commerce n’est pas plus limité dans son objet que le 5°, qui connait un élargissement continu de son […]

    Posté le vendredi 30 septembre 2011 à 13 h 24 min Editer

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