Il aura fallu près de dix ans pour que la Cour de cassation aligne le régime des clauses de non-concurrence inclues dans les pactes d’actionnaires à celui des mêmes clauses stipulées dans les seuls contrats de travail.
Le 10 juillet 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation jugeait ainsi que :
« une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’ obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulative. »
Cette exigence de contrepartie financière avait entraîné la renégociation de nombreux contrats de travail, et l’invalidation de nombre de clauses pourtant licitement conclues avant l’intervention de cette nouvelle jurisprudence.
Par un arrêt du 15 mars 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation adopte, pour le cas des clauses de non-concurrence prévues dans les pactes d’actionnaires, la même solution et ce, aux termes d’un attendu pratiquement identique .
Jusqu’alors, le régime de ces clauses différaient : en effet, en dehors du droit du travail, pour être valable, une clause de non-concurrence devait uniquement être proportionnée à la protection des intérêts légitimes des personnes en cause, c’est-à-dire tout à la fois de l’entreprise concernée et du salariée. Cette proportionnalité était notamment appréciée au regard de la limitation de la clause dans le temps et dans l’espace.
Désormais, que le salarié soit ou non actionnaire, et que la clause de non-concurrence soit stipulée dans le contrat de travail ou dans un pacte d’actionnaires, une clause de non-concurrence conclue dans le cadre d’un pacte d’actionnaires par un associé salarié doit en outre ((l’arrêt réaffirme clairement les autres conditions)) être assortie d’une contrepartie financière. Cet alignement des deux régimes paraît justifié : il ne semble en effet pas fondé de traiter différemment un salarié en fonction de la nature du contrat dans lequel une même obligation est insérée.
Quelle doit être la contrepartie financière ?
L’arrêt ne le dit pas. Mais on peut discerner dans sa formulation une ouverture au fait qu’elle ne relève pas exclusivement du versement d’une somme d’argent, postérieurement à la rupture du contrat de travail.
En effet, dans le cas d’espèce qui a donné lieu à l’arrêt du 15 mars 2011, la Cour d’appel avait considéré que la contrepartie financière devait être recherchée dans le prix très symbolique auquel les actions avaient été cédées au salarié. Toutefois, dans le cadre du pacte d’actionnaires, l’attribution des actions avait été motivée par « les « bons et loyaux services », l’ « ‘implication personnelle » et l’activité déployée par [le salarié dans] l’activité et le développement de la société » (selon l’arrêt d’appel), et non par l’existence d’une clause de non-concurrence.
Dès lors, la Cour de cassation a considéré que le droit d’entrée symbolique du salarié dans le capital de la société ne pouvait pas constituer la contrepartie financière requise. Il en aurait donc peut-être été autrement si les rédacteurs de clause avaient motivé le montant symbolique du prix par l’imposition de la clause de non-concurrence.
On pourrait ainsi imaginer que la contrepartie financière exigée soit constituée par d’autres types d’avantages, évaluables financièrement.
Cette analyse devra toutefois être confirmée.
Une telle confirmation pourrait d’ailleurs rapidement intervenir compte tenu des implications pratiques de cette décision.
En effet, la solution adoptée par la Cour de cassation est immédiatement applicable aux clauses en vigueur, en raison de l’effet rétroactif des arrêts de la Cour de cassation. L’ensemble des clauses de non-concurrence actuellement en vigueur et dépourvues de contrepartie financière devraient donc être invalidées – libérant les salariés concernés de leurs obligations à l’égard de leur ancien employeur.
Cette solution est également susceptible d’avoir une influence sur les contentieux en cours en matière de concurrence déloyale. En effet, le débauchage d’un salarié lié par une clause de non-concurrence à son ancien employeur est considéré comme déloyal (en l’absence de clause de non-concurrence, il est nécessaire de rapporter la preuve d’un débauchage massif). Si la clause de non-concurrence concernée est nulle, il n’y a plus lieu de considérer le débauchage comme déloyal…
crédit photo : Groume
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Commentaires (21)
Lib a dit...
Evolution prévisible, on la sentait venir.
Le problème est qu’elle va s’étendre aux fondateurs. L’investisseur qui met un million pour prendre 30% d’une start-up demande au fondateur un engagement de non-concurrence.
Peut-être faudra-t-il imaginer des clauses de NC rémunérées en actions…
Posté le mardi 9 août 2011 à 13 h 47 min Editer
Erwan Le Morhedec a dit...
On la sentait venir et pourtant, elle fut longue à arriver. Il semblait en effet trop facile de contourner la jurisprudence de la Cour de cassation en insérant la clause de non-concurrence dans un pacte d’actionnaires et non dans le contrat de travail, quitte à n’attribuer qu’une seule action au salarié concerné.
Au regard de l’objectif poursuivi, la situation n’était pas cohérente.
Il reste que, comme souvent, la généralité de la solution adoptée s’accommode mal de la diversité des situations : il est effectivement légitime d’attendre d’un associé à 30% qu’il s’abstienne de concurrencer l’entreprise après son départ et encore plus si l’on investit dans l’entreprise.
Au regard des différents commentaires de cette décision, il pourrait être possible de rémunérer la clause de non-concurrence en actions mais, surtout, il devrait être possible d’en tenir compte dans la valorisation, en le mentionnant expressément. Cette solution demande toutefois encore à être confirmée.
Posté le mardi 9 août 2011 à 16 h 45 min Editer