Rupture : le champagne était de trop.
Et à vrai dire, le séjour à l’Île Maurice également.
La société Carrefour Marchandises International (Carrefour) a mis un terme immédiat aux relations commerciales qui l’unissaient avec une société spécialisée dans l’édition d’ouvrages, ainsi que la conception de livres coffrets et de calendriers. Elle a également annoncé à son partenaire son refus de prendre livraison de plusieurs commandes passées, décisions suffisamment conséquentes pour avoir justifié une condamnation de Carrefour à plus de 500.000€ en première instance.
Carrefour a en effet constaté que son président avait offert des cadeaux et voyages dont une mallette, un voyage à l’île Maurice tous frais payés… et une caisse de champagne, en échange du référencement de ses produits.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 5 mai 2021, juge que ces faits caractérisaient des procédés déloyaux, outre la violation de la charte éthique de Carrefour dont son partenaire avait connaissance. Dans ces conditions, l’article L.442-1 II du Code de commerce réservant la possibilité de rompre une relation commerciale sans préavis en cas d’inexécution du partenaire, la Cour juge fondée la rupture sans préavis.
Elle juge également fondé le refus de prendre livraison des commandes déjà passées, considérant que ces faits constituent une fraude et des manœuvres dolosives qui ont affecté le consentement de Carrefour.
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Changer de contractant n’est pas une modification substantielle de la relation commerciale.
C’est la solution contre-intuitive qu’a énoncé la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 31 mars 2021. L’affaire illustre bien la spécificité du domaine des ruptures brutales de relations commerciales établies.
En l’espèce, une société de fabrication d’emballages en verre, Verralia (ex Saint Gobain Emballages) distribuait ses produits par l’intermédiaire de trois sociétés coopératives agricoles, qui ont décidé de se regrouper au sein d’une même entité pour leurs achats.
Verralia a fait connaître son opposition à cette opération et, donc, son refus de cesser la facturation aux trois sociétés. En conséquence, les trois sociétés ont informé Verralia de l’arrêt de leurs relations, avec un préavis très bref, d’un mois. Verralia a assigné ces sociétés au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies, considérant qu’elles lui avaient opposé une modification substantielle de la relation commerciale.
Rappelons qu’en effet une rupture peut être partielle ou totale, ou résulter encore de la modification substantielle de la relation, que ce soit de nature tarifaire (par exe, augmentation conséquente des prix) ou non tarifaire (par exe, changement important des conditions de paiement).
La solution est discutable compte tenu des conséquences possibles d’un regroupement à l’achat, mais le fait est que la Cour de cassation a estimé que le changement d’identité de cocontractant ne caractérisait pas suffisamment la modification de la relation commerciale. Il faut rappeler que la matière concerne la rupture de relations commerciales, notion dégagée délibérément pour la distinguer des relations contractuelles. La Cour de cassation a d’ailleurs déjà eu à juger qu’une relation commerciale pouvait commencer avec une personne, morale ou physique, et se poursuivre avec une autre.
Risques de l’embauche d’un salarié malgré une clause de non-concurrence
Que risque-t-on si l’on embauche un salarié en violation d’une obligation de non-concurrence ? Des dommages et intérêts, qu’il suffirait de provisionner ? On risque surtout de se voir interdire en référé, sous astreinte, de laisser le salarié exécuter l’activité concerné. C’est ce qui ressort incidemment d’un arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2021, quoique son objet soit plus procédural. En effet, le nouvel employeur avait demandé qu’il soit sursis à statuer en attendant que les juridictions prud’homales se soient prononcées sur la validité de la clause de non-concurrence. Or, la Cour de cassation rappelle que, si les tribunaux de commerce sont tenus de surseoir à statuer, « il n’en va pas de même du juge des référés commercial, dont la décision présente un caractère provisoire et ne tranche pas le fond du litige. » La solution peut surprendre, compte tenu des conséquences pratiques potentiellement définitives d’une telle décision en référé, mais elle est conforme aux principes de procédure civile.
Voilà qui incite fortement à introduire son action en référé plutôt qu’au fond. A noter, toutefois, d’une part que le trouble soit manifestement illicite ce qui n’est pas le cas si « la licéité de la clause de non-concurrence n’apparait pas avec l’évidence requise » (Cass. 2e civ., 10 janv. 2008, n° 07-13.558) et, d’autre part, que si le juge peut interdire au salarié de mener l’activité litigieuse, « le juge des référés n’a pas le pouvoir d’ordonner la résiliation du contrat de travail d’un salarié » (Cass. Soc, 13 mai 2003, 01-17.452). Il reste qu’en pratique, tout employeur n’a pas la possibilité d’affecter l’employé à une autre activité.
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Résiliation et refus de ré-agrément d’un distributeur
Un concessionnaire voit son contrat de distribution-réparation partiellement résilié par Renault après plus de 50 ans de relations commerciales, au motif de ses performances commerciales, avec un préavis de deux ans. Le distributeur conteste la résiliation et présente dans le même temps une nouvelle demande d’agrément.
Dans un arrêt en date du 12 mai 2021, la Cour de cassation a jugé licite la résiliation, et conforme au droit des ententes le refus d’agrément postérieur.
Elle juge en effet que le préavis de deux ans accordé est suffisant, dans la mesure où le distributeur-réparateur conservait une activité d’après-vente représentant 79% de son résultat demi-net et pouvait maintenir son activité de réparation, outre le fait qu’elle conservait la possibilité de distribuer les véhicules de marque Dacia. A noter que, sous le nouveau régime du droit des ruptures brutales de relations commerciales établies, le fait que le constructeur avait accordé plus de 18 mois l’aurait déjà mis à l’abri des critiques.
En ce qui concerne le refus du ré-agrément, la Cour de cassation approuve l’analyse de la Cour d’appel qui analyse le refus d’agrément fondé sur le critère quantitatif applicable entre Renault et son réseau comme un accord, devant dès lors être soumis au droit des ententes. A ce titre, le droit européen prévoit des seuils de parts de marché en-deçà desquels une restriction est exemptée – ce qui était le cas en l’espèce.
Il ressort donc de la décision de la Cour de cassation que le refus d’agrément ne peut être considéré comme une entente anticoncurrentielle tant que les seuils d’exemption ne sont pas dépassés et ce, même si le distributeur répond aux critères qualitatifs de sélection.
Il convient de noter que deux courants jurisprudentiels coexistent à ce jour, l’un analysant une telle décision comme un accord entre le constructeur et ses distributeurs, l’autre empruntant une voie plus directe en considérant qu’il s’agit d’un acte unilatéral, excluant ainsi l’application du droit des ententes.
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