M. Christophe Castaner a obligeamment fourni à la Justice l’occasion d’une première application de la loi Fakenews… qui a révélé le caractère éminemment restrictif du texte et ne l’a pas condamné. Faut-il le déplorer ou s’en réjouir ?
La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, aka loi Fakenews, a en effet trouvé son bêta-testeur en la personne de M. Christophe Castaner.
On s’en souvient, M. Christophe Castaner avait publié, ce 1er mai, un tweet ainsi rédigé :
Ici à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger. Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République.
La suite a montré qu’il n’y avait pas eu d’attaque ni d’agression, créant un certain malaise parmi ceux qui avaient cru à la parole dramatique de « l’homme le mieux informé de France ».
Au-delà de la polémique qui s’est ensuivie, deux élus communistes ont entrepris d’assigner Twitter en référé aux fins de l’enjoindre de retirer le tweet incriminé. Las, la procédure a échoué, par une ordonnance en date du 17 mai 2019, et nous allons vous en conter les raisons.
Tout d’abord, il convient de rappeler le texte, article L. 163-2 du code électoral :
Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises, lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne, le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire aux personnes physiques ou morales mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même I toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion.
Et de souligner les réserves d’interprétation apportées par le Conseil Constitutionnel qui, d’une part, exige que le caractère inexact ou trompeur, ainsi que le risque d’altération de la sincérité du scrutin soient manifestes et d’autre part, précise que les trois conditions (délibérée, artificielle ou automatisée, et massive) sont cumulatives.
En premier lieu, après avoir examiné les faits tels qu’ils ont été rapportés par les autorités gouvernementales et de l’AP-HP ainsi que par la presse, le président du tribunal constate certes que le message était « exagéré » mais relève que « l’information n’étant pas dénuée de tout lien avec des faits réels, la condition selon laquelle l’allégation doit être manifestement inexacte ou trompeuse n’est pas remplie« .
En deuxième lieu, il relève que d’après les travaux parlementaires, le caractère artificiel ou automatisé de la diffusion renvoie « aux contenus sponsorisés – par le paiement de tiers chargés d’étendre artificiellement la diffusion de l’information – et aux contenus promus au moyen d’outils automatisés – par le recours à des “bots”« . Or, si l’usage de moufles n’est pas écarté, aucun procédé de nature artificielle ou automatisé ne peut en revanche être retenu.
Enfin, la troisième condition ne s’avère pas plus réunie que les précédentes : le risque d’altération du scrutin n’est pas manifeste. Il est intéressant de relever la raison pour laquelle le président du tribunal l’écarte. Il relève en effet qu' »il n’a pas occulté le débat« , puisque « il a été immédiatement contesté, que de nombreux articles de presse écrite ou Internet ont indiqué que les faits ne se sont pas déroulés de la manière dont l’exposait Monsieur Christophe Castaner et que des versions différentes ont surgi, permettant ainsi à chaque électeur de se faire une opinion éclairée, sans risque manifeste de manipulation«
La démonstration du tribunal est imparable : la première condamnation au titre de l’article L163-2 du code électoral n’est pas pour demain. Faut-il le déplorer ou s’en réjouir, y voir un désaveu, comme le titre Le Monde ?
Le déplorer, car la réunion des trois conditions cumulatives du texte paraît si exceptionnelle qu’une condamnation semble bien improbable – et se demander alors si le législateur est si peu occupé qu’il puisse consacrer du temps à voter des lois inefficaces par principe ?
Ou faut-il s’en réjouir car, précisément et certes avec le soutien du Conseil Constitutionnel, nous sommes loin de la loi liberticide que certains dénonçaient, tant les éléments nécessaires à une condamnation requièrent une offensive politique délibérée et coordonnée, loin d’une simple affirmation légère, malvenue ou exagérée – dont on conviendra que la répression rendrait l’exercice de la politique impossible à la plupart ?
L’un des deux demandeurs, élu communiste, indique avoir voulu, par son action, « démontrer par l’absurde – ce qui est parfois comme en mathématiques la méthode la plus efficace – que cette loi ne servait à rien ». N’a-t-il pas surtout engagé une procédure absurde dont le succès aurait démontré que la politique était passée sous supervision judiciaire, ce que l’on ne rencontre que dans des pays autoritaires voire communistes ?
Le temps seul permettra de déterminer si, face à une action massive et coordonnée, qu’elle soit d’origine étrangère ou nationale, l’article 163-2 du Code électoral aura été un outil utile ou une autre loi velléitaire.
Une fakelaw.
Photo by Sara Kurfeß on Unsplash
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