Avant d’engager une procédure judiciaire, il est indispensable de se préserver la preuve des actes que l’on reproche à son concurrent. Cela passe bien souvent par l’intervention d’un huissier. L’opération emprunte des modalités diverses, depuis le simple constat d’achat jusqu’aux mesures d’instruction. Chacune de ces modalités doit être maniée en connaissance de ses règles propres – spécialement pour les mesures d’instruction – comme viennent le rappeler deux arrêts récents.
Dans une première affaire, une société entendait faire constater la vente de jeans par une autre société, au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale1. Un huissier avait été mandaté afin de constater l’achat des produits, par un avocat stagiaire au sein du cabinet représentant la demanderesse.
L’huissier n’a en effet pas le droit de procéder à l’achat lui-même (à tout le moins tant que l’opération est dirigée contre le magasin / l’enseigne). Il doit se contenter de constater qu’une personne, entrée les mains vides, procède à l’achat et constater celui-ci (en prenant copie du ticket de caisse, voire de la facture). Encore faut-il que cette personne soit indépendante, ce qui ne serait pas le cas d’un clerc de l’étude d’huissier, mais ce qui n’était pas davantage celui de cet avocat stagiaire.
La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 25 janvier 2017, casse donc l’arrêt d’appel qui a refusé de prononcer l’annulation du procès-verbal de constat. Elle le fait sur le fondement du droit à un procès équitable et de la loyauté de la preuve :
Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ; Attendu que le droit à un procès équitable, consacré par le premier de ces textes, commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.
Dans une deuxième affaire, il s’agissait de procéder à des mesures d’instruction, dites in futurum, qui sont des mesures destinées à « préserver la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige » (article 145 du Code de procédure civile). La mesure doit être engagée avant que ne soit introduite une procédure au fond. Elle peut au demeurant ne pas déboucher sur une telle procédure, s’il s’avère que les éléments « saisis » sont insuffisants à rapporter la preuve des faits concernés.
Elle doit faire l’objet d’une autorisation par le juge, qui peut la donner sans que l’autre partie en soit informée – dans les cas où la procédure d’ordonnance sur requête est admissible. C’est ce qui en fait tout l’intérêt puisque cela permet d’agir par surprise, et d’empêcher une destruction de preuves qui pourrait intervenir si l’on poursuivait une procédure contradictoire. Mais c’est aussi l’une des raisons qui justifient les règles strictes de cette procédure, puisqu’elle peut s’avérer particulièrement intrusive – notamment lorsqu’elle est effectuée avec l’assistance d’un serrurier et des forces de l’ordre – et ne doit pas être instrumentalisée à des fins de pression.
Nous avons déjà pu évoquer ces règles. Parmi celles-ci, figure le fait que la mesure ordonnée ne doit pas « s’apparenter à une véritable perquisition civile« . Ainsi en particulier un huissier n’a-t-il pas le droit de procéder à la fouille des lieux. Plus largement, il convient que la mission de l’huissier de justice soit proportionnée à l’objectif poursuivi ainsi que suffisamment circonscrite et limitée dans le temps. C’est sur ce point que les opérations ont achoppé, et ont donné lieu à la rétractation de l’ordonnance par la Cour d’appel.
En l’occurrence, la société CSC reprochait à la société IBM des actes de concurrence déloyale par débauchage de salariés et détournement de son savoir-faire. Elle avait obtenu l’autorisation de procéder aux mesures d’instruction, avant que la Cour d’appel de Versailles ne considère les mesures disproportionnées. Elle a été approuvée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 5 janvier 2017.
Qu’on en juge :
les mesures d’investigation ordonnées s’apparentaient à une véritable perquisition civile de la société IBM en ce qu’elle impliquait la mobilisation de nombreux membres de la société, la mise à disposition de ses équipements et matériels tels imprimantes, photocopieurs ou scanners sur une durée illimitée qui pouvait être de plusieurs jours ou de plusieurs mois, que pour un grand nombre de mots clés, il n’était pas précisé en quoi ils pouvaient être pertinents s’agissant notamment de la plupart des noms de personnes mentionnés au point 2. 1. 1 de l’ordonnance sur requête, que l’utilisation de termes génériques et vagues relatifs au champ lexical de l’emploi ou encore aux projets confidentiels « Nice » ou « Generali » étaient susceptibles de renvoyer à un grand nombre de documents sans rapport avec le litige, que l’utilisation à titre de mots clés sans aucune restriction du nom de quinze entreprises qui n’étaient pas seulement des clientes de la société CSC mais également de la société IBM pouvait conduire à un audit de son activité commerciale et que certaines des recherches étaient à mener sur l’ensemble du système d’information de la société IBM y compris les sauvegardes.
La détermination des mots-clés utilisés et, plus largement, de la mission de l’huissier, suppose une bonne pratique de la matière et une collaboration entre l’avocat et l’huissier. Au demeurant, une fois réalisées, la procédure devra franchir un autre obstacle : la communication effective des documents copiés, ce qui n’est pas toujours aussi aisé qu’il n’y paraît.
- à ce titre d’ailleurs, les demandes de la société demanderesse avaient été jugées irrecevables puisque l’on ne peut agir concomitamment sur les deux fondements [↩]
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