Suffit-il de prévoir, dans ses conditions générales, que seuls les tribunaux de son choix seront compétents pour pouvoir l’opposer à un client ? Oui. Et non. Tout dépend tout d’abord de la qualité du client, selon qu’il est consommateur ou professionnel, mais également des modalités par lesquelles ces clauses sont portées à la connaissance du client.
Deux décisions sont revenues sur ce sujet de manière notable cette année.
A l’égard du consommateur, et dans le cadre des rapports avec Facebook, la clause attributive de compétence qui oblige l’utilisateur à saisir une juridiction de Santa Clara en Californie a été jugée abusive par le Juge de la Mise en Etat du tribunal de Grande Instance de Paris, dans une décision du 5 mars 2015.
Il faut tout d’abord relever que, dans le cadre d’un litige purement national, les clauses attributives de compétence ne sont valables qu’entre commerçants. Cette solution n’est pas applicable en l’espèce, la disposition concernée (article 48 du Code de procédure civile) étant une règle de compétence interne exclusivement. En revanche, le juge a examiné la décision au regard de la législation sur les clauses abusives, qui est d’ordre public et qu’il a donc appliqué dans le cadre international. Le juge a alors considérer que :
Les difficultés pratiques et le coût d’accès aux juridictions californiennes sont de nature à dissuader le consommateur d’exercer toute action devant les juridictions concernant l’application du contrat et à le priver de tout recours à l’encontre de la société Facebook Inc. A l’inverse, cette dernière a une agence en France et dispose de ressources financières et humaines qui lui permettent d’assurer sans difficulté sa représentation et sa défense devant les juridictions françaises. Dès lors, la clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes contenue dans le contrat a pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle a également pour effet de créer une entrave sérieuse pour un utilisateur français à l’exercice de son action en justice. Au regard de ces éléments, la clause doit être déclarée abusive et sera réputée non écrite.
Cette solution devra encore être confirmée par d’autres décisions judiciaires. On peut noter toutefois qu’une telle clause a déjà été écartée par les tribunaux français, sur d’autres motifs que son caractère abusif. Ainsi la Cour d’appel de Pau, dans un arrêt en date du 23 mars 2012 avait-elle également écarté cette clause mais pour des considérations tenant davantage à son intelligibilité et à son opposabilité. Ainsi sur ce dernier aspect, elle a considéré qu’outre sa mauvaise présentation et sa rédaction en anglais, l’acceptation par un simple clic était insuffisante.
Voilà qui fournit la transition vers la décision rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 21 mai 2015 qui, elle, a jugé que la technique d’acceptation par un clic, débouchant sur l’ouverture d’une fenêtre comportant les conditions générales de vente, est valide.
Nous étions dans ce cas entre professionnels, un concessionnaire automobile allemande ayant acheté un véhicule sur le site Internet d’une autre société allemande. La seconde ayant tenté d’annuler la vente fut assignée par le premier, et lui opposa ses conditions générales de vente qui attribuait la juridiction à un tribunal belge (du siège de la maison-mère).
Or, le texte applicable – l’article 23, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I – prévoit qu’une telle clause doit être établie par écrit et que « toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention » doit être regardée comme « revêtant une forme écrite ».
La Cour répond ici à une question préjudicielle1 et considère que le fait qu’il existe un lien vers les conditions générales de vente (et donc ouvrant une fenêtre les comportant) constitue une telle transmission par voie électronique, sans même qu’il soit besoin de prévoir un quelconque envoi desdites conditions générales. Il s’agit là de ne pas poser de restriction excessive aux transactions électroniques.
- ie une question posée par une juridiction nationale afin d’obtenir l’interprétation de la juridiction européenne [↩]
The comments are closed.
Aucun commentaire