La Cour d’appel de Paris vient de rendre, le 29 octobre 2014, l’un de ses tous premiers arrêts notables en matière de déséquilibre significatif1. Rappelons que cette disposition, encore peu utilisée, autorise une immixtion rare dans le contrat alors que celui-ci est censé, en droit français, être la référence indépassable puisqu’il « tient lieu de loi entre les parties » (article 1134 du Code civil).
Les autres hypothèses d’intervention du juge n’ont généralement cours que dans l’hypothèse d’un déséquilibre de rapport de forces entre les parties.
C’est le cas, par excellence, entre le professionnel et le consommateur. En droit commercial, c’est encore le cas lorsque l’un des partenaires dispose d’une puissance de marché particulière.
Or, les dispositions de l’article L.442-6.I.2° du Code de commerce s’appliquent non pas entre déséquilibre entre les parties, mais de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (cet arrêt vient toutefois nuancer un peu cette position, comme nous le verrons) :
« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »
Les faits et la solution du litige
Radio Nova et TSF Jazz faisaient partie d’un GIE, « Les Indépendants », connu aussi comme Les Indés. Ce GIE a été constitué afin de permettre aux radios locales et régionales qu’il rassemble d’accéder au marché publicitaire, en agrégeant leurs audiences.
En 2011, Radio Nova et TSF Jazz ont annoncé leur démission du GIE. Elles ont également fait savoir qu’elles rejoignaient une autre régie, Nova Régie, et entendaient faire connaître leurs audiences respectives au sein de l’étude Médiamétrie à l’avance, de façon à permettre la commercialisation de leurs espaces publicitaires dès le lancement de la régie. Or, le GIE s’est opposée à cette demande, en invoquant un article du règlement intérieur faisant interdiction au membre qui le quitte d’apparaître dans les résultats d’audience Médiamétrie tant que son préavis n’est pas achevé.
A défaut, la radio devait, à titre de dédit, s’acquitter d’une indemnité égale à 30% de son chiffre d’affaires annuel de publicité.
C’est cette clause de dédit que la Cour d’appel annule, estimant qu’elle instaurait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
L’analyse de la Cour et les enseignements de l’arrêt
- La faculté de demander la nullité d’une clause au titre de l’article L.442-6.I.2° du Code de commerce n’est pas limitée aux autorités listées :une partie au contrat peut le faire.
Le GIE faisait valoir que seul le ministre de l’économie et les autorités mentionnées au III du même article seraient susceptibles de le faire. La Cour rejette cette analyse et considère, en se référant à un arrêt de la Cour de cassation (au demeurant non mentionné) que l’article L.442-6 du Code de commerce instaure une nullité d’ordre public économique, ie « une nullité absolue, invocable par toute personne intéressée« .
- Il convient de rapporter la preuve d’une soumission, qui ne s’identifie pas à une contrainte irrésistible.
L’article L.442-6.I.2° du Code de commerce évoque le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre » une partie à un déséquilibre significatif. Cette formulation n’est pas une formule de style et, si cette disposition ne requiert pas un déséquilibre structurel, elle nécessite tout de même, selon la Cour, un déséquilibre du rapport de force.
La Cour définit ainsi la notion en cause :
« la notion de « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations » prévue à l’article L.442-6-I.2° du Code de commerce consiste à faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial, du fait du déséquilibre du rapport de force existant entre les parties, des obligations injustifiées et non réciproques; qu’elle ne s’identifie pas à une contrainte irrésistible. »
En l’espèce, la Cour relève les conditions de soumission du règlement intérieur (rédigé préalablement à l’adhésion), les modalités de décision, les pouvoirs de décision des deux radios dans les organes du GIE, et conclut qu’il en résulte « que le règlement intérieur s’applique aux membres et adhérents, sans réelle possibilité de discussion ».
- Le juge peut « s’inspirer de la jurisprudence relative aux clauses abusives sous l’empire du droit de la consommation pour délimiter les contours de l’infraction de déséquilibre significatif » sans toutefois « pouvoir se contenter de raisonner par analogie« .
A ce titre, la Cour se réfère explicitement aux hypothèses de clauses présumées abusives listées à l’article R.132-2 du Code de la consommation qui visent notamment le fait d' »imposer au non-professionnel ou au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant manifestement disproportionné ». Pour autant, la Cour ne se cantonne pas à cette référence mais examine in concreto l’impact de la clause de dédit.
En l’occurrence, il apparaît :
(i) qu’il est nécessaire pour une radio que la mesure de son audience puisse apparaître dans l’étude Médiamétrie avant le lancement du produit publicitaire,
(ii) que le GIE en était bien conscient puisque lui-même avait intégré à l’avance deux radios qui le rejoignaient, de sorte que les obligations ne sont pas équilibrées ni réciproques (« cette clause ne trouve pas d’équilibre ou de contrepoids dans la pratique personnelle du GIE, qui fait ce qu’il interdit à ses membres (…) que la légitimité de la réalisation anticipée des études d’audience avant la commercialisation d’une offre est donc admise par les deux intimées« ) et que le caractère disproportionné de la clause est accentué par la possibilité offerte au GIE de prélever d’office le montant de l’indemnité du chiffre d’affaires de publicité du membre,
(iii) « que cette clause vise, en réalité, en rendant difficile la préparation de leur sortie, à dissuader [les membres] de sortir du produit intégré « Les indés« ,
(iv) que les deux radios n’auraient pas supporté le poids financier d’une telle clause de dédit.
La décision est ainsi amplement motivée sur le déséquilibre significatif, sans qu’il ne soit certain, bien évidemment, qu’un standard de preuve aussi élevé soit systématiquement requis. La pratique jurisprudentielle, si elle se développe, viendra le confirmer ou non.
- Le juge peut invalider une clause d’un contrat, ou une partie d’une clause d’un contrat.
Cela peut sembler évident mais mérite néanmoins d’être mentionné. En l’occurrence, la Cour ne prononce l’annulation que d’une condition figurant dans l’article incriminé dans le règlement. En l’occurrence, la Cour laisse subsister la clause de dédit en ce qui concerne l’engagement du membre quittant le GIE de ne pas apparaître dans un autre produit tant que le préavis n’est pas terminé, et ne déclare nulle que l’engagement de ne pas apparaître seule dans l’étude Médiamétrie avant la fin du préavis.
- Paris, 29 octobre 2014, n°13/11059, Radio Nova, TSF Jazz, SARL Nova Régie c. GIE Les Indépendants, SASU TF1 Publicité [↩]
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