Prenons de l’avance sur le bilan annuel !
L’actualité de la rupture brutale des relations commerciales établies ne faiblit pas, elle qui, en 2012, représentait 65% du contentieux des pratiques commerciales (ie Livre IV du Code de commerce).
Alors que le bilan à peine rendu pour la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales faisait état de 249 affaires pour l’année 2012, un premier recensement fait d’ores et déjà ressortir 225 décisions rendues en 2013.
Les arrêts publiés de la Cour de cassation offrent d’ores et déjà précisions et illustrations sur nombre de subtilités de la matière.
L.442-6.I.5° Pour Tous, ou presque
Première illustration, sur le champ d’application de l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce. Les décisions rendues par la seule Cour de cassation sont intervenues dans des domaines aussi variés que l’intermédiation en opérations de banque, la fabrication de bijoux, l’édition de magazine, la production d’émissions radiophoniques ou la maintenance d’équipements industriels, sans que cette liste soit exhaustive.
L’article L.442-6.I.5° du Code de commerce s’applique à « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers« . La jurisprudence a depuis longtemps élargi ce champ d’application, jusqu’à l’appliquer à des sociétés d’assurance mutuelles, malgré leur but non lucratif et leur statut spécifique. Un arrêt de la Cour de cassation illustre encore ce large champ d’application, s’agissant de la rupture décidée par un comité d’entreprise (Cass. com, 3 avril 2013, n°12-17163).
Toujours dans le cadre du champ d’application, il faut relever l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 12 février 2013. L’article L.442-6.I.5° du Code de commerce s’applique aux relations commerciales établies. Certaines relations peuvent être considérées comme précaires. Une Cour d’appel avait jugé que la relation d’un animateur de radio (par le biais d’une société) avec une station de radio était précaire, le contrat excluant expressément toute reconduction, les parties ne s’étant engagées qu’à se faire connaître en fin de saison si elles entendaient poursuivre leur collaboration et cette absence de pérennité étant conforme aux usages de la profession. La Cour de cassation approuve (Cass. com. 12 février 2013, n°12-13819). Cette solution peut surprendre dans la mesure où seule la référence aux usages de la profession semble la justifier. Or, quelques mois auapravant, la Cour de cassation avait approuvé la Cour d’appel qui, sur renvoi après cassation, avait maintenu de refuser que les relations dans un secteur très proches (l’audiovisuel) puissent être considérés comme précaires par nature (voir ce précédent billet).
Une rupture nette
La lettre de résiliation n’est pas la seule modalité de rupture, et celle-ci peut se déduire de multiples circonstances, dès lors qu’elles traduisent une volonté de parvenir à la rupture.C’est notamment le cas du lancement d’un appel d’offres, c’est également le cas lorsqu’un contrat « aux conditions radicalement différentes » succède à un autre.
Ca l’est, a fortiori, lorsqu’un tel contrat différent est proposé après un appel d’offres, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 28 mai 2013, écartant une prétendue ambiguïté du courrier adressé (Cass. com. 28 mai 2013, n°12-19147).
Lorsqu’un courrier est adressé, il doit être clair et non ambigu, pour pouvoir constituer le préavis écrit requis par le texte.
Ainsi, quand bien même l’auteur de la rupture a notifié sa décision de mettre fin aux relations, au cours d’une réunion, puis par courrier électronique puis par lettre recommandée, en s’engageant à respecter un délai raisonnable pour permettre à son partenaire de se réorganiser, le fait de ne jamais avoir fixé de durée précise du préavis constitue la brutalité de la rupture. Cette brutalité est accentuée par le fait que l’auteur de la rupture a laissé planer le doute sur une poursuite éventuelle des relations (Cass. com., 15 janvier 2013, n°12-17553).
La Cour de cassation a considéré en revanche qu’était suffisamment clair le courrier par lequel un fabricant automobile informait son concessionnaire qu’il n’avait pas l’intention de lui proposer le renouvellement du contrat à son terme, sans que cela exclue l’examen de sa candidature, parallèlement à celle d’autres candidats, pour la proposition du nouveau contrat (Cass. com. 14 mai 2013, n°12.15390).
Une rupture nette, mais avec un préavis pour la reconversion
L’évaluation du préavis repose sur plusieurs facteurs, mais essentiellement sur la durée de la relation (critère légal) et son importance, appréciée en fonction de la part représentée par la relation ans le chiffre d’affaires de la victime de la rupture (critère jurisprudentiel). Une idée directrice préside toutefois à cette évaluation : le préavis doit donner à l’entreprise qui subit la rupture le temps nécessaire à sa reconversion.
Cette idée directrice ne doit toutefois pas être appliquée trop extensivement, comme en témoigne une décision particulièrement notable du 9 juillet 2013. En effet, dans cette affaire, la Cour d’appel avait relevé que le concessionnaire évincé avait repris un fonds de commerce en location-gérance dans les jours même ayant suivi la fin du préavis. Dès lors, la Cour avait considéré que la société n’avait pas subi de préjudice puisque sa reconversion avait été immédiate.
Cette approche est invalidée par la Cour de cassation, de façon discutable :
« le délai du préavis suffisant s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; qu’en cas d’insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire »
Ainsi, les circonstances postérieures à la notification de la rupture n’ont aucun impact sur l’appréciation du préavis. Cette solution est discutable en ce qu’elle conduit à une approche théorique de l’évaluation d’un préavis, alors que le droit économique privilégie des approches concrètes, pratiqués. En outre, une telle décision dénote dans le droit français de la responsabilité. Dans le cadre de la responsabilité délictuelle – dont relève l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce – les dommages-intérêts ont pour seul but de réparer le préjudice subi. Or, ici, même en l’absence de préjudice, il y a indemnisation. Le dommage-intérêt paraît alors non plus seulement réparatoire mais, d’une certaine manière, forfaitaire et quasi-punitif (Cass. com. 9 juillet 2013, n°12-20468, publié au Bulletin).
Cette décision devra être articulée avec un arrêt légèrement antérieur de la Cour de cassation, en date du 11 juin 2013. En effet, la Cour de cassation a considéré que « c’est à juste titre que (…) la cour d’appel a retenu la durée du préavis réellement effectué et non de celui initialement notifié » . Toutes les circonstances postérieures à la notification de la rupture – et, en l’occurrence, la prolongation du préavis accordé – ne sont donc pas indifférentes (Cass. com, 11 juin 2013, n°12-21424).
Un autre arrêt, rendu le 25 juin 2013, apporte une solution rigoureuse, à retenir par les avocats : une société victime d’une rupture reprochait à la Cour d’appel de ne pas voir pris en compte, dans l »évaluation du préavis, la dépendance économique dans laquelle elle se trouvait à l’égard de la société ayant rompu les relations. La Cour de cassation écarte ce reproche au motif que la société n’avait pas précisé dans ses écritures la durée du préavis qui aurait alors été nécessaire, et n’a donc pas tiré les conséquences de cette dépendance économique. La portée de cette décision est incertaine. Il paraît d’ailleurs difficile de mesurer précisément l’impact d’un état de dépendance économique invoquée sur le préavis nécessaire. Surtout, le recours à cette notion parait assez inutile – sinon pour frapper l’esprit des juges – dans la mesure où le préavis est déjà évalué en tenant compte de la part de la relation dans le chiffre d’affaires de l’entreprise, ce qui est l’indice le plus évident de la dépendance économique (Cass. com, 25 juin 2013, n°11-27794).
En lecteurs assidus de LM-a, vous connaissez déjà l’arrêt du 12 février 2013 commenté ici. Il ressort de cet arrêt essentiel que le fait de diminuer ses commandes en période de crise économique, alors que l’on subit soi-même une diminution de ses propres commandes, ne constitue pas une rupture dans la mesure où il ne s’agit pas d’un acte délibéré (Cass. com., 12 février 2013, n°12-11709).
Nette et sans bavure : c’est la bavure qu’on indemnise
Les décisions de la Cour de cassation de ce premier semestre fournissent quelques illustrations de solutions connues relatives à l’évaluation du préjudice.
La Cour de cassation rappelle ainsi que « seuls sont indemnisables, sur le fondement de l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce, les préjudices résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même » . La solution est sévère en l’espèce puisque l’entreprise reclamait l’indemnisation de la cessation de son activité et des coûts de licenciement du personnel, pour avoir perdu 90% de son chiffre d’affaires. Il est difficile de faire le départ, dans un tel cas, entre les conséquences de la seule rupture et celles de sa brutalité. Cette décision souligne en tout état de cause la nécessité d’étayer scrupuleusement une telle demande. A toutes fins, il convient de relever que l’entreprise a été indemnisée de la perte de marge brute résultant de la rupture des relations concernées. (Cass. com., 11 juin 2013, n°12-20846).
Au demeurant, lorsque l’entreprise cesse totalement son activité, le préjudice évolue. Il convient alors d’ôter de la marge brute – dont la perte constitue le poste principal d’indemnisation – les charges fixes qu’elle n’a plus à supporter (Cass. com. 28 mai 2013, n°12-19147).
Autre solution, d’évidence : le montant des dommages-intérêts accordé doit prendre en compte la durée de préavis effectué. Ceci entraîne la cassation de la décision par laquelle une Cour d’appel a considéré qu’un préavis de deux ans aurait du être accordé, et qui a indemnisé la victime de la rupture à hauteur de deux ans de marge brute, alors même qu’un préavis de 10 mois et demi avait été accordé et effectué (Cass. com. 11 juin 2013, n° 12-22229).
Enfin, les investissements non amortis sollicités par l’auteur de la rupture font partie des postes d’indemnisation possibles. Il convient toutefois de démontrer le lien entre l’absence de préavis et le préjudice concerné (Cass. com., 15 janvier 2013, n°12-17553).
La possibilité résiduelle de rupture sans préavis
Une relation commerciale peut toujours être rompue sans préavis en cas de force majeure ou d’inexécutions. Ca n’est pas le cas lorsque la Cour d’appel se contente de relever un désaccord sur le prix, pour en déduire que le Comité d’entreprise était en droit de rompre une relation commerciale de 17 ans sans préavis (Cass. com, 3 avril 2013, n°12-17163).
Un arrêt du 9 juillet 2013 revient sur la nature de l’inexécution permettant de rompre une relation sans préavis. Les parties, un établissement bancaire et une société de conseil, avaient conclu un mandat d’intermédiaire en opérations de banque. Ce contrat comportait une clause de résiliation sans préavis ni indemnité pour différents motifs dont l’absence de résultat. Cette absence de résultat pouvait notamment être caractérisée si le mandataire n’atteignait pas 80% de l’objectif annuel fixé. La Cour d’appel, constatant que le mandataire ne réalisait que 40 ou 65% des objectifs, a fait application de la clause. La Cour de cassation a cassé cette décision en considérant que la Cour d’appel n’avait pas caractérisé un manquement grave de la société de conseil.
Un tel arrêt est édifiant quant à l’absence de portée des clauses de résiliation, qui ne peuvent faire obstacle à l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce, disposition d’ordre public. Il est également instructif, dans le cadre de l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce, quant à la gravité du manquement consistant en l’absence de résultats (Cass. com., 9 juillet 2013, n°12.21001).
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Commentaires (1)
NM a dit...
Excellent ! Bravo pour la synthèse et l’analyse…
Pour l’arrêt du 9 juillet 2013, la cour de renvoi pourra constater qu’il y a eu rupture brutale mais évaluer le préjudice en tenant compte de la reconversion effective comme le font d’autres décisions récentes (not. l’arrêt Ikéa qui compare la marge réalisée à celle qui l’aurait été si le préavis avait été respecté).
Posté le jeudi 5 septembre 2013 à 11 h 41 min Editer