Un contrat peut toujours être rompu, sous deux réserves : l’abus et l’absence de préavis. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 janvier 2013 (Paris, 16 janvier 2003, Matis c. Cubed, n°11/09594) mérite d’être relevée à deux titres : les circonstances de la rupture, et son indemnisation.
Les circonstances de la rupture
Ce ne sont pas les motifs de la rupture qui suscitent le plus l’intérêt : le fournisseur invoquait des engagements d’achat non respectés, ce qui n’était apparemment pas démontré, et une disposition contractuelle sur le changement d’actionnaire, en oubliant semble-t-il qu’elle n’était applicable qu’en cas de changement d’actionnaire… chez l’autre partie.
Il est plus remarquable de noter que le fournisseur, la société Matis, a tenté de revenir à une voie négociée. En effet, après que la société Cubed lui a fait valoir sa demande de réparation, la société Matis lui a proposé de revenir sur la rupture du contrat. La société Cubed a refusé cette proposition, prenant acte de la rupture. A lire certaines décisions, il aurait pu être reproché à ce distributeur de ne pas avoir tenu compte de cette proposition. Il n’en est rien ici.
En d’autres occasions, une partie adverse aurait pu tenter (sans grand succès probablement) d’imputer à la victime la responsabilité de la rupture, comme dans les affaires évoquées sous cet autre billet.
L’indemnisation de la rupture : quelle perte de marge ?
En matière de rupture brutale de relations commerciales établies (ie une rupture sans préavis suffisant), il est admis que l’indemnisation ne peut porter sur le chiffre d’affaires perdu. Admettre le contraire reviendrait notamment à indemniser des charges non exposées. Les tribunaux se sont donc concentrés sur l’indemnisation de la « marge brute ». La notion semble toutefois laisser perplexes les experts-comptable. Elle ne serait en effet ni directement applicable, ni susceptible d’une application uniforme dans tous les secteurs d’activité.
Il convient donc de s’intéresser plus directement aux éléments effectivement pris en compte par les tribunaux. En premier lieu, il semble l’on puisse définir la marge brute comme « la différence entre le prix de vente ou service, et son coût de revient, c’est-à-dire le coût de production ou d’acquisition » (voir E. Schulte et E. Le Morhedec, L’indemnisation de la rupture brutale de relations commerciales établies, La Semaine Juridique, Entreprise et Affaires, n°37, 15 septembre 2011).
Dans un arrêt du 4 décembre 2012 ((que nous asignalé le Pr Mathey)), la Cour de cassation a d’ailleurs cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble qui avait condamné l’auteur de la rupture à verser le prix des prestations qui auraient dû être réalisées. La Cour de cassation a souligné « que le prix n’est dû qu’en cas d’exécution de la prestation convenue et qu’il lui revenait d’évaluer le préjudice résultant de la résiliation anticipée du contrat« . Elle rappelle ainsi qu’il convient d’indemniser le préjudice effectivement subi, à l’exception des coûts qui ne seraient pas exposés du fait de la rupture.
L’arrêt en date du 16 janvier 2013 est spécialement intéressant à deux égards :
- Il retient comme assiette de l’indemnisation la perte de marge brute jusqu’au terme du contrat, soit trois années.
Les juridictions font rarement preuve d’une telle rigueur dans l’application du principe qui voudrait effectivement que la victime de la rupture d’un contrat à durée déterminée soit indemnisée de la perte de marge sur la durée du contrat restant à courir.
La Cour d’appel de Paris introduit toutefois une variable surprenante, en visant « la nature du marché considéré ansi que la durée des relations commerciales entretenues entre les parties« . Dans le cas d’une rupture de contrat à durée déterminée, ces circonstantes devraient être indifférentes.
- Il exclut explicitement « les coûts variables relatifs à la commercialisation des produits« .
Il était déjà possible d’envisager l’existence d’un mouvement, certes léger, en faveur de la marge sur coûts variables. Léger car résultant d’une interprétation : la Cour d’appel de Paris semblait en effet n’avoir rejeté cette notion qu’en raison d’une absence de preuve (Paris, 4 février 2010, Garage Huguenin c. Class Tractors et 20 janvier 2011, Equidia c. SARL 25 mars Production dans lequel la Cour soulignait précisément que « la preuve de l’économie de certains coûts liés à des prestations non fournies pendant le préavis n’était pas rapportée« ). La même cour a en revanche considéré que « s’agissant de prestations de service, la notion de marge sur coût variable est plus appropriée que celle de marge brute ou de résultat d’exploitation« ).
L’exclusion du chiffre d’affaires comme base de l’indemnisation était en revanche moins évidente dans l’hypothèse d’une rupture abusive d’un contrat à durée déterminée. Les demandeurs, se fondant sur l’article 1134 du code civil, sollicitent et obtiennent ainsi parfois le versement des sommes qu’ils auraient dû percevoir durant l’exécution du contrat.
La Cour d’appel de Paris, contrairement à la Cour d’appel de Grenoble (dans l’arrêt Caterpillar précité), n’indemnise pas la victime de la rupture à hauteur de l’intégralité des sommes qu’elle aurait pu percevoir. Elle vise expressément le préjudice véritablement subi et écarte les coûts variables qui ne seront pas exposés car liés à la commercialisation des produits – qui n’interviendra pas. Elle n’indemnise donc pas les frais variables liés à la commercialisation des produits du seul fournisseur.
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